Par Chokri Baccouche
C’est sous le credo « business first » sur lequel repose sa propre vision des relations internationales que le président américain a accueilli, au courant de cette semaine, cinq chefs d’Etat africains dans le cadre d’un mini-sommet Etats-Unis-Afrique. La rencontre qui a eu lieu sous les lambris de la Maison Blanche a donné à voir pour la postérité des scènes atypiques qui rompent avec les coutumières règles de bienséance protocolaires. Celles-ci montrent en effet un Donald Trump, toujours aussi espiègle et taquineur, toisant d’en haut ses illustres hôtes en les traitant comme des subalternes voire des soufifres. D’ailleurs, il ne s’est pas du tout gêné de recadrer le président mauritanien Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani en coupant court à son exposé qu’il a visiblement jugé trop long et barbant : « Soyons brefs, concis, allez droit au but », a-t-il lancé à l’adresse de ce dernier. Ambiance, ambiance. C’est que le maitre des lieux n’a pas réuni tout ce beau monde pour parler de la pluie et du beau temps, encore moins d’aide au développement. Il veut passer illico dans le vif du sujet et préfère que ses interlocuteurs lui causent de business, de minerais, pétrole, gaz, terres rares… Bref, toutes ces « petites choses » qui peuvent faire dilater la pupille et mettre l’eau à la bouche de n’importe quel investisseur qui se respecte. Donald Trump est, justement, très friand de ces « petites mignardises » qui aiguisent son appétit gargantuesque et insatiable.
Message reçu 5 sur 5, les présidents du Sénégal, Gabon, Guinée-Bissau, Libéria et Mauritanie se sont fait aussi brefs et concis que possible comme des bons élèves qui écoutent attentivement les recommandations de leur maitre. Tour à tour, chacun a pris la parole pour vanter et faire l’éloge, à qui mieux mieux, des avantages comparatifs et des richesses dont recèle son propre pays. . « Nous avons des minerais rares, des terres rares. « Nous avons du manganèse, nous avons de l’uranium, et nous avons de bonnes raisons de penser que nous avons du lithium et d’autres minerais », a déclaré le président mauritanien lors du tour de table. Le président sénégalais, Bassirou Diomaye Faye, a lui « tenu à rassurer tous les investisseurs américains sur la stabilité politique » de son pays et sur « son environnement réglementaire favorable », avant de souligner ses riches ressources en pétrole et gaz naturel. Encensant les qualités de golfeur du président américain, il lui a aussi suggéré d’investir dans la création d’un club au Sénégal.
« Le Gabon est un pays riche », a déclaré de son côté le président Brice Oligui Nguema, avant d’ajouter : « Nous avons plus de 2 millions d’habitants et une grande diversité de matériaux bruts, des réserves de pétrole et de gaz, et nous voudrions que ces ressources soient exploitées ». Bref, les invocations élogieuses des uns et des autres visant à séduire le locataire de la Maison Blanche ne sont pas sans rappeler d’ailleurs le refrain d’une célèbre chanson d’Edith Piaf : « Allez, venez, Milord, vous asseoir à ma table, Il fait si froid dehors, Ici c'est confortable… ». Humm, on peut dire que c’est de bonne guerre tout ça, mais c’est la manière de vendre qui peut paraitre assez inhabituelle et peu ordinaire. On l’aura certainement deviné, ce mini sommet de Washington est loin d’être un acte gratuit, encore moins fortuit. Il amorce en effet un changement de cap de la politique étrangère américaine qui n’est pas sans lien avec le contexte géopolitique mondial. Son objectif est double, à savoir garantir l’accès à des ressources essentielles pour l’économie U.S et endiguer l’influence croissante de la Chine et de la Russie sur le continent africain, comme ne cessent de le répéter les responsables américains. Il ne s’agit plus seulement de coopération, mais de compétition. Une compétition pour les métaux rares, les marchés émergents, les corridors maritimes — et les alliances durables. Le choix des cinq pays invités illustre cette logique. Le Gabon, riche en manganèse, fer, cuivre et or, joue un rôle stratégique dans les chaînes d’approvisionnement en matériaux indispensables à la transition énergétique mondiale. La Guinée-Bissau, peu médiatisée sur la scène diplomatique, possède une biodiversité marine exceptionnelle et un sous-sol prometteur. Le Libéria, allié traditionnel des États-Unis, voit ses ressources minières redécouvertes à la lumière des besoins en cobalt, lithium ou néodyme. La Mauritanie, pionnière du développement de l’hydrogène vert et dotée d’un potentiel solaire et éolien considérable, attire l’attention dans le cadre de la transition énergétique. Quant au Sénégal, sa stabilité politique relative et ses gisements de zircon, de phosphates et de titane en font un acteur central de la recomposition énergétique régionale.
Que vont gagner les pays africains en retour ? Dans l’immédiat, Trump promet de promouvoir la coopération sécuritaire des Etats-Unis avec ces pays notamment en matière de lutte contre le terrorisme, mais sans piper un mot pour le reste. L’intérêt américain pour l’Afrique s’apparente, pour l’heure, à une inflexion stratégique qui cherche à combiner diplomatie ciblée, sécurisation des ressources et projection d’influence. Il marque ni plus ni moins qu’une tentative de repositionnement des Etats-Unis dans un continent convoité, où d’autres puissances redoublent d’efforts pour tisser leurs réseaux. A défaut d’un partenariat réellement équilibré fondé sur des projets concrets, il est à craindre que cette offensive américaine ne soit finalement qu’un simple miroir aux alouettes pour les pays africains…
C.B.
