Par Chokri BACCOUCHE
Question à dix mille dinars : quelle est la drogue la plus dangereuse qui vous fait bousiller le cerveau? Non, non, ce n’est ni la cocaïne, ni l’héroïne, le Fentanyl, le crack ou l’Ecstasy. Cela va peut-être surprendre certains mais le stupéfiant le plus nocif pour la santé mentale est… le pouvoir. Au nom du pouvoir, il est des bipèdes qui sont capables de perpétrer des atrocités et zigouiller, s’il le faut, leurs proches jusqu’au dernier. Sans aucun remords, ni soucis. Ce qui se passe ces derniers jours en Libye en donne la preuve formelle. L’ancienne Jamahiriya qui peine à se stabiliser depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi est, de nouveau, le théâtre d’affrontements entre groupes armés rivaux qui ont fait, selon le dernier bilan, au moins six morts. Ce regain de violence qui ne prédit rien de bon dans un pays exsangue fait suite à l’assassinat, lundi dernier au soir, dans des circonstances non élucidées, de Abdel Ghani Al-Kikli, chef de l’Appareil de soutien à la stabilité (SSA), une puissante milice basée dans le quartier populaire d’Abou Slim, dans le sud de la capitale libyenne. Face à l’intensité des combats à l’arme lourde, le ministère de l’Intérieur du «gouvernement d’Union nationale» basé à Tripoli a appelé les citoyens à rester confinés. Des avions stationnant sur le tarmac de l’aéroport de Tripoli ont été transférés et mis en sécurité à Misrata et plusieurs vols ont été également déviés vers cette ville. Plusieurs municipalités de la capitale et de ses banlieues ainsi que l’université de Tripoli ont annoncé par ailleurs la fermeture des établissements scolaires, hier mardi, jusqu’à nouvel ordre. Selon le neveu d’Abdel Ghani Al-Kikli, le chef du groupe SSA serait tombé dans une embuscade. La question qui se pose est de savoir qui a commandité son assassinat et pour quelle raison? S’agit-il d’un règlement de compte dans le sens que la montée en puissance de cet homme a suscité l’animosité de ses rivaux qui voient d’un mauvais œil son influence grandissante au sein de l’appareil de l’Etat? Le fait que Abdel Ghani Al-Kikli ait réussi à «installer des fidèles à des postes clés au sein des banques, des télécommunications, des administrations et même à de hautes fonctions diplomatiques» rend possible d’une certaine manière cette hypothèse. Ce qui est sûr en tout cas c’est que la mort de ce milicien ravive non seulement les tensions mais également le spectre de la guerre civile qui a plongé le pays dans les affres du chaos et de l’incertitude.
Il est écrit quelque part que la Libye ne renouera pas de sitôt avec la paix et la stabilité. Un peu en raison de la malédiction des ressources énergétiques dont regorge le pays qui attirent les convoitises étrangères comme des mouches. Et beaucoup parce que les Libyens s’étripent pour le pouvoir. En effet, l’ancienne Jamahiriya est actuellement divisée entre un gouvernement établi à Tripoli reconnu par l’Organisation des Nations unies, et une administration rivale dans l’est du pays, contrôlée par la famille du puissant maréchal Khalifa Haftar. Les rivalités entre les deux camps, soutenus l’un et l’autre par des puissances étrangères aux intérêts diamétralement opposés, donnent lieu de temps à autre à des escarmouches meurtrières. Aussi étrange et troublant que cela puisse paraitre, à chaque fois qu’on s’approche d’un compromis pour résoudre la crise par la voie politique, un incident se produit et remet illico le compteur à zéro. Il ne faut pas être forcément un mage savant rompu aux arcanes des sciences occultes pour déduire qu’il y a des parties qui œuvrent inlassablement pour que la Libye ne renoue jamais avec la stabilité. Tant que l’anarchie règne, ces parties malveillantes dont on peut facilement deviner du reste l’identité, profitent un max pour tirer les marrons du feu et ce, en siphonnant le pétrole libyen pour une bouchée de pain comme cela se fait actuellement. Ce qu’on n’arrive pas à comprendre en revanche, c’est cet acharnement des frères ennemis libyens qui s’entretuent pour le pouvoir et leur refus obstiné de partager au moins ce satané pouvoir pour sauver le pays. Ni le maréchal Haftar, ni le gouvernement d’Union nationale du premier ministre Abdelhamid Debaiba ne veulent donner du lest et consacrer le bon sens et la raison pour tirer le pays de ce dangereux goulot d’étranglement qui menace son intégrité et sa pérennité. Moi ou personne : telle est la devise qui anime malheureusement les deux camps. Un raisonnement et une logique des plus absurdes, car au rythme où vont les choses, l’un et l’autre seront inévitablement perdants car cette rivalité morbide ne fera que jeter la Libye en pâture aux charognards de tout acabit qui n’attendent que cette occasion rêvée pour s’emparer des richesses libyennes et priver le peuple libyen de sa liberté et de son droit à l’autodétermination. On vous l’avait dit, le pouvoir est la plus dangereuse drogue qui bousille le ciboulot, particulièrement chez les dirigeants arabes…
C.B.
