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Editorial : Kikazaru, Mizaru, Iwazru et les pays arabes…

Par Chokri Baccouche

Les sommets arabes se suivent et se ressemblent comme une vulgaire série de casseroles. Tous donnent l’impression que les dirigeants arabes, réunis en urgence pour trouver une solution commune à leurs interminables tracas existentiels, souffrent, à quelques menus degrés variables, de troubles anxieux généralisés, une affection psychiatrique qui se caractérise par une peur permanente et une incapacité morbide à dépasser cette frousse. Ces rencontres au sommet se terminent d’ailleurs toutes en queue de poisson et ce, quelle soit la gravité de la situation et l’importance de la question à l’ordre du jour. Le sommet arabo-islamique consacré  à la frappe israélienne contre le Qatar visant des dirigeants du Hamas qui vient de s’achever à Doha, n’a pas échappé à cette règle funeste. Le communiqué final publié à l’issue de cette assemblée laisse transparaitre, en effet, une réaction arabe le moins qu’on puisse dire timorée, truffée de généralités qui ne risquent pas, en tout cas d’impressionner grand monde, encore moins d’intimider l’incorrigible agresseur sioniste. Dans les faits, les participants ont dénoncé à l’unanimité l'«agression israélienne» contre le Qatar et ont réaffirmé leur «engagement indéfectible en faveur de la souveraineté, de l'indépendance et de la sécurité de tous les États membres de la Ligue des États arabes et de l'Organisation de la coopération islamique». En revanche, et cela est de nature à susciter beaucoup de questions, la déclaration de Doha est restée muette au sujet de la rupture des relations diplomatiques avec Israël, de leur suspension ou du rappel pour consultations des diplomates arabes en poste à Tel-Aviv. Une demande pourtant soutenue par une large partie de l'opinion arabe, et proposée par certains dirigeants de pays musulmans.
Plus pathétique encore et loin de prendre des décisions concrètes, les membres de la Ligue arabe se sont contenté d’appeler «tous les États» à «imposer des sanctions» contre Israël, à «suspendre la fourniture, le transfert ou le transit d'armes, de munitions et de matériel militaire, y compris à double usage», à «réviser les relations diplomatiques et économiques» avec l’entité sioniste ou à «engager des poursuites judiciaires contre» l'État hébreu. En d’autres termes, ledit appel a valeur de simple recommandation ou une sollicitation qui confère aux Etats membres la liberté de l’appliquer ou de la rejeter. Gageons qu’il n’en sera rien dans la pratique. D’ailleurs, aucun pays arabe ayant normalisé ses relations politiques ou économiques  avec Israël n’a pris l’initiative de rappeler au moins son ambassadeur en poste dans l’entité sioniste en signe de protestation contre cette  attaque  délibérée, y compris le Qatar. Le sommet de Doha a également mis l'accent sur «notre devoir collectif de répondre à cette agression pour défendre notre sécurité commune», conformément au traité de défense arabe commune signé en 1960 au Caire. Cependant, la déclaration finale n'a fait aucune mention concernant l'activation de ce mécanisme comme l’avait suggéré le président égyptien Abdefattah Sissi qui a milité, rappelons-le, en faveur de la création d’une force militaire arabe commune de type « OTAN ». L’initiative audacieuse du « Raïs «  égyptien a été pourtant unanimement saluée par la rue arabe, frustrée par tant de décennies de désillusions durement ressenties et qui a depuis toujours caressé ce rêve pour sortir le monde arabe du carcan de la servitude et de la résignation.
Pourquoi la proposition a-t-elle achoppé ? Les conditions ne sont pas réunies pour la mise en œuvre du traité de défense arabe commune, a affirmé le secrétaire adjoint de la Ligue arabe, l’égyptien Hossam Zaki. Il a précisé, pince sans rire, qu'«activer de tels accords signifie qu'un ennemi commun a été identifié, et que ces accords sont mis en œuvre contre lui». La cause est donc entendue : il n’y a pas lieu de créer  une armée arabe commune ou à tout le moins ou d’activer le fameux traité de défense commune parce qu’on n’a pas encore défini un ennemi commun. On l’aura certainement compris, les dirigeants arabes adoptent à la lettre la célèbre philosophie de Kikazaru (le sourd), Mizaru ( l’aveugle) et Iwazru (le muet), les trois singes de la mythologie asiatique rendus célèbres par leur posture très suggestive. Pour paraphraser un adage ancestral, les pays arabes font comme la vieille mémé emportée par l’oued en furie mais crie malgré tout que l’année sera prospère, sans se soucier qu’elle est en danger de mort.
Tant que les pays arabes n’auront pas affronté et exorcisé, avec courage et détermination leur peur, il est à craindre qu’ils ne sortiront pas de sitôt de la mouise. Au vu des bouleversements majeurs qui secouent actuellement le monde, ils ont pourtant une chance historique de forcer leur destin et de s’émanciper pour peu qu’ils fassent preuve d’audace et d’unité. C’est la condition sine qua non pour mener la barque arabe à bon port, en proie actuellement à une dangereuse bourrasque…
C.B.


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