Lorsque l’administration Trump brandit l’idée d’un prétendu «effacement civilisationnel» de l’Europe, elle ne fait pas seulement preuve d’une méconnaissance profonde de l’histoire du continent : elle s’inscrit dans une tradition politique qui instrumentalise la peur pour justifier des politiques migratoires toujours plus dures, toujours plus déshumanisantes. Ce discours alarmiste n’a rien d’innocent.
Il vise à diviser, à opposer « eux » et « nous », à présenter les migrants comme une menace existentielle plutôt que comme des êtres humains fuyant la guerre, la misère ou la persécution. C’est un langage qui alimente la haine, légitime l’exclusion et affaiblit les démocraties européennes.
L’idée même d’un « effacement civilisationnel » repose sur une vision figée, presque mythologique, de l’identité européenne. Elle suppose que l’Europe a toujours été culturellement homogène et qu’elle serait aujourd’hui mise en péril par l’arrivée de populations extérieures.
Or, c’est historiquement faux. L’Europe s’est construite sur des vagues successives de migrations, de mélanges, d’échanges et de brassages. Les civilisations européennes n’ont jamais été des blocs monolithiques ; elles ont évolué, se sont enrichies et transformées au contact des autres. La diversité fait partie intégrante de l’ADN du continent.
Ce discours américain est d’autant plus problématique qu’il vient souvent masquer les responsabilités géopolitiques des puissances occidentales, dont les États-Unis, dans les crises qui alimentent les migrations. Interventions militaires, soutien à des régimes autoritaires, déséquilibres économiques mondiaux : l’histoire récente montre que les déplacements de populations ne sont pas le fruit d’un désir d’invasion, mais le résultat de dynamiques que les grandes puissances ont largement contribué à créer.
Pointer du doigt les migrants est donc une manière commode de détourner l’attention. L’Amérique trumpiste instrumentalise également la question migratoire pour réactiver la logique du choc civilisationnel, une vision qui oppose blocs culturels et religieux, entretient la méfiance et transforme les vulnérables en boucs émissaires.
En Europe, ce langage fait écho aux rhétoriques populistes qui prospèrent sur les angoisses sociales, économiques et identitaires. En reprenant ces éléments de langage, Washington contribue à renforcer les courants politiques les plus extrêmes du continent, ceux qui contestent les valeurs démocratiques et les droits fondamentaux.
Pourtant, la réalité européenne contredit totalement cette narration anxiogène.
Les migrants représentent un pilier social et économique essentiel. Les pays européens connaissent un vieillissement massif de la population, une baisse de la natalité et un besoin croissant de main-d’œuvre dans de nombreux secteurs : santé, agriculture, construction, services, innovation technologique. Sans l’apport des travailleurs étrangers, plusieurs économies seraient au bord de l’asphyxie. Les migrants ne sont pas une menace : ils sont une réponse concrète à des défis structurels.
Au-delà de l’économie, les sociétés européennes bénéficient également de la vitalité culturelle et sociale que les migrations apportent. De la gastronomie aux arts, des sciences au sport, les contributions des diasporas font partie intégrante du paysage européen contemporain. Parler de « remplacement » ou « d’effacement » revient à nier ces apports et à réduire la richesse du pluralisme humain à une caricature dangereuse.
L’administration Trump alimente aussi une idée fausse et profondément injuste : celle selon laquelle les migrants seraient responsables des tensions sécuritaires. Or, les données disponibles démontrent que l’immigration n’augmente pas la criminalité. Au contraire, de nombreux migrants deviennent des acteurs de cohésion et de dynamisme local.
Confondre migration et insécurité n’est pas seulement erroné ; c’est un argument politique conçu pour semer la peur. Il est nécessaire de dénoncer fermement ce type de discours. Car la parole politique a un poids immense : elle façonne les imaginaires, influence les opinions publiques et conditionne les politiques publiques.
Lorsqu’un leader mondial entretient l’idée que certaines populations menacent la civilisation, il ouvre la voie à des dérives dangereuses ; discrimination, violence, exclusion institutionnelle.
L’Europe n’a pas besoin d’être protégée d’une menace imaginaire ; elle a besoin de politiques migratoires humaines, cohérentes et fondées sur la dignité. Elle a besoin de reconnaître la valeur des migrants, de faciliter leur intégration, de protéger leurs droits et de lutter contre les discours de haine. Et elle doit rejeter sans ambiguïté les tentatives extérieures de manipuler la question migratoire à des fins idéologiques.
L’« effacement civilisationnel » n’existe pas. Ce qui existe en revanche, c’est une bataille entre deux visions du monde : celle qui se nourrit de peur et de rejet, et celle qui croit en l’humanité, en la solidarité et en la capacité des sociétés à se renforcer par l’accueil et la diversité. L’Europe doit choisir la seconde.
J.H.

