L’annonce selon laquelle plusieurs mouvements palestiniens sont prêts à confier provisoirement la gestion de la Bande de Gaza à un comité indépendant de technocrates marque une étape importante, mais insuffisante, dans un processus de sortie d’urgence de la crise humanitaire, politique et stratégique que connaît l’enclave palestinienne sinistrée.
Elle méritera d’être regardée comme une opportunité, mais aussi examinée avec rigueur quant aux garanties nécessaires pour qu’elle ne reste pas un simple décor, et pour que l’aide aux Gazaouis s’inscrive dans un horizon de reconnaissance d’un État palestinien libre et viable.
Pourquoi cette proposition est-elle signifiante? Depuis l’entrée massive de destruction, de déplacements et de deuils à Gaza, il devient clair que la reconstruction matérielle ne suffira pas. L’idée d’un «comité indépendant de technocrates», approuvé par les factions palestiniennes, et envisagé dans un cadre temporaire sous la houlette de l’Autorité palestinienne, introduit l’espoir d’une administration neutre, experte, non directement engluée dans l’affrontement partisan.
Selon l’Égypte et d’autres médiateurs, ce comité devrait être composé de 10 à 20 membres « non affiliés à un mouvement palestinien», pour une durée initiale de six mois. Cela ouvre la possibilité d’un reset politique à Gaza : alléger le fardeau de la violence, permettre la distribution de l’aide, relancer l’économie, réparer les infrastructures, tout en préparant un retour à l’unité palestinienne entre Gaza et la Cisjordanie.
Des centaines de milliers de personnes vivent dans des conditions épouvantables, destruction de logements, coupures d’eau, d’électricité, accès limité à des soins médicaux. Une administration opérationnelle et experte est une condition minimale pour que l’aide parvienne et que les besoins élémentaires soient satisfaits.
Cependant, tant que l’occupation militaire, le blocus, le cycle de bombardements et de représailles persisteront, toute amélioration dans la bande de Gaza restera fragile. Le recours à un comité neutre peut offrir une fenêtre politique pour négocier un cessez-le-feu durable, faire lever les restrictions, établir la libre circulation des personnes et des biens.
En outre, cette administration transitoire peut être le prélude d’un retour de l’AP à Gaza et d’une gouvernance unie palestinienne, ce qui réaffirme la nécessité d’un État palestinien aux frontières de 1967, avec Gaza et la Cisjordanie comme composantes indissociables.
Mais plusieurs garanties sont absolument nécessaires pour que ce plan soit crédible et juste. Il faut que ce comité ait un pouvoir réel, non symbolique: gestion des services de base, de l’éducation, de la santé, de l’économie, et de la coordination de l’aide internationale. Cela suppose que les « technocrates » aient l’autorité, les moyens et la marges d’action, sans subir des vengeances partisanes ou des ingérences extérieures qui vident la substance.
Il est crucial que ce comité fonctionne sous la supervision légitime de l’AP, qui doit redevenir l’acteur unitaire de l’ensemble des territoires palestiniens, tout en s’engageant à des réformes institutionnelles profondes pour regagner la confiance de la population.
Il faut, aussi, que ce dispositif soit accompagné d’un engagement international fort, financement, reconstruction, garanties de sécurité, et que les populations soient maintenues sur leur terre, sans déplacement forcé ou refonte démographique imposée.
Il est par ailleurs indispensable que l’administration transitoire ne soit pas un cache-nez de la continuité d’un conflit asymétrique sans issue. La condition d’un réel cessez-le-feu, l’ouverture des passages et la levée du blocus sont des éléments non négociables.
Cette phase doit être enclenchée dans une perspective plus large : la reconnaissance d’un État palestinien indépendant, avec Gaza comme partie intégrante. Sans cette perspective politique, tout redémarrage administratif resterait une rustine, et non une véritable transition vers un avenir de dignité et de paix.
Le fait que les mouvements palestiniens acceptent, même provisoirement, de remettre la gestion de Gaza à un comité indépendant de technocrates est une évolution positive et pragmatique. Elle montre une prise de conscience que la survie des Gazaouis ne peut attendre un accord global impossible dans l’immédiat. Mais ce virage administratif ne vaut que si les garanties ci-dessus sont respectées. Sinon, on risque un simple changement de façade, avec toujours les mêmes souffrances et les mêmes impasses.
Il appartient à la communauté internationale, aux États voisins notamment l’Égypte, aux donateurs, à l’AP et à l’ensemble du peuple palestinien de saisir cette chance pour transformer l’urgence en fondation d’un avenir meilleur. Car la véritable justice ne réside pas seulement dans la distribution de l’aide ou la reconstruction des murs, mais dans la reconnaissance d’un peuple, l’affirmation de ses droits, y compris le droit à l’autodétermination, et la fin d’un cycle d’agression, d’occupation et d’expulsion.
En ce sens, cette initiative de technocrates devient non pas une simple manœuvre tactique, mais un pas, peut-être ténu, mais réel, vers la liberté des Palestiniens, vers la fin de l’austérité imposée par la force, et vers la construction d’un État palestinien indépendant, en paix avec ses voisins, et capable de vivre avec dignité.
J.H.

