Hassan GHEDIRI
A l’occasion de la rencontre mardi dernier entre Kaïs Saïed et la cheffe du gouvernement, huit photos ont été diffusées sur la page officielle de la présidence montrant l’ampleur du danger que représentent les unités du GCT à Gabès.
Des images qui laissent sans voix. A première vue, l’on se croirait en face d’un champ de ruines après un raid aérien. Ce sont des images qui trouveraient facilement place dans les albums des guerres, tellement elles révèlent l’ampleur de l’anarchie et des destructions. Pourtant, ce ne sont point des clichés de guerre, mais des photos bien réelles prises à l’intérieur des unités de transformation du phosphate implantées à Gabès.
Des clichés à l’état brut sans la moindre retouche puisqu’elles ont été publiées sur le réseau social de la présidence de la république. Les images sont d’autant terrifiantes qu’elles montrent l’état de délabrement sans pareil dans lequel se trouvent les usines du Groupe Chimique Tunisien (GCT) qui transforment le phosphate en acide phosphorique et en engrais. Ces mêmes usines qui sont accusées d’empoissonner l’air, la terre et la mer et qui s’attirent aujourd’hui les foudres d’une colère populaire bien justifiée.
Les huit clichés publiés par la présidence de la république, montrent des installations manquant d’entretien depuis une longue période. Des équipements métalliques couverts de rouille et des conduites dans un état de corrosion avancée avec des traces d’oxydation. Des boulons et brides rongés et des éléments endommagés.
Autour des équipements métalliques démantelés, le sol est jonché, des morceaux de tuyauterie cassés témoignant d’un état général de négligence. Des images qui plaident en faveur des habitants de Gabès qui réclament le démantèlement de ces unités et qui semblent ne laisser aucun prétexte aux autorités qui semblent hésiter à prendre des décisions radicales.
Si l’état dans lequel se trouvent aujourd’hui les unités du GCT choque, tellement il reflète un abandon total des procédure d’entretien et de sécurité, la situation était déjà alarmante depuis plusieurs années et n’a cessé de susciter les inquiétudes des spécialistes, s’agissant d’une industrie nécessitant des mesures de protection optimale.
Cauchemar
Lorsqu’il est question d’usines de fabrication d’engrais chimiques, le danger est permanant. Il ne se limite pas dans les fuites de substances toxiques qui contaminent l’environnement et mettent en péril la santé publique, ce qui est aujourd’hui le cas à Gabès.
L’état de délabrement des unités du GCT à Gabès, révélé par les images publiées avant-hier par la présidence de la république, suscite de grandes inquiétudes à cause de la présence à l’intérieur de ces installations de produits dangereux. Comme dans toutes les usines d’engrais dans le monde, le GCT produit le nitrate d’ammonium (l’ammonitrate), un composé chimique qui représente un très fort risque d’explosion.
A Gabès, le GCT fabrique cet engrais en de très grandes quantités mais en entrepose également des milliers de tonnes. Et c’est là que les choses deviennent dangereuses au vu de l’état d’abandon et de la nonchalance qui semble caractériser la gestion de ces sites, et ce, d’après les images qui ne trompent pas.
D’ailleurs, lorsque la population en colère a tenté de prendre d’assaut les installations du GCT, à la fin de la semaine dernière, un porte-parole de la garde nationale a laissé entendre que grâce à l’intervention des unités de sécurité, une catastrophe d’une ampleur inimaginable avait été évitée. Il doit expliquer que le GCT détient dans ses locaux près de 100 mille tonnes de matières dangereuses.
Le problème c’est que des défaillances flagrantes au niveau des procédures d’entretien et de la sécurisation des entrepôts des matières dangereuses chez le GCT ont souvent été épinglées.
Ainsi, le 5 août 2020, au lendemain de l’explosion du port de Beirouth, qui a choqué le monde entier par ses dégâts dignes d’une explosion nucléaire et par son bilan humain, Malek Azzouzi, alors chargé de la réhabilitation de l’usine d’ammonitrate au sein du GCT, a reconnu sur les ondes d’une radio associative que la ville de Gabès et toutes les régions limitrophes risqueraient de subir une catastrophe d’une ampleur encore beaucoup plus grande que ce qui s’est passé au Liban.
Un simple incendie combiné à peu de poussière de l’ammonitrate, dont des dizaines de milliers de tonnes sont stockées dans les entrepôts du groupe chimique, serait capable, selon lui, d’entrainer une détonation des dizaines de fois plus grande qu’à Beyrouth. Il faut souligner qu’à quelques centaines de mètres des sites de stockage du nitrate d’ammonium se trouvent des réservoirs de stockage de l’acide sulfurique et de gaz, et à un vol d’oiseau les unités de traitement du gaz raccordées au projet Nawara.
Pour dire que les unités du GCT constituent une véritable bombe à retardement. Il s’agit, sans exagération, de l’une des zones les plus dangereuses en Tunisie en terme des risques liés aux grands manquements aux normes fondamentales de l’entretien et de la sécurisation des sites dangereux.
Pour la petite histoire, rappelons qu’en 2001, en France est survenue l’une des plus graves explosions impliquant du nitrate d’ammonium lorsqu’un stock de 300 à 400 tonnes de cette matière, détenu par une usine de fabrication d’engrais azotés située à Toulouse, a explosé. Bilan : 31 morts, plus de 2500 blessés et de lourds dégâts matériels.
H.G.

