Par Hassan GHEDIRI
Les ménages à faibles revenus, qui consacrent généralement la grande partie de leur budget à la consommation, supportent les charges fiscales les plus élevées…
Dans une nouvelle étude fraichement publiée par l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES), les chercheurs replacent la réforme fiscale au centre des objectifs de développement et d’inclusion sociale définis dans la vision stratégique de la Tunisie à l’horizon de 2035.
L’établissement d’un système fiscal équitable constitue, selon cette étude, une condition sine qua non pour faire aboutir cette vision et ériger un modèle de développement fondé sur la bonne gouvernance, le développement humain, la compétitivité de l’économie et la durabilité environnementale.
En matière de gouvernance, la politique fiscale s’impose ainsi comme instrument de consolidation de la résilience sociale par le biais d’une meilleure transparence, d’une véritable redevabilité et d’une redistribution efficace et équitable des charges fiscales.
Néanmoins, selon l’étude, l’architecture fiscale tunisienne révèle une structure déséquilibrée, héritée de décennies d’ajustements successifs sans vision cohérente. L’analyse de la composition des recettes fiscales sur la période 2023-2025 met, ainsi, en évidence une prédominance des impôts indirects, qui représentent 57,2% du total des recettes fiscales estimées en 2025 à 25 891 millions de dinars (MD), contre 43% pour les impôts directs, soit un peu plus de 19 MD.
Cette structure diffère sensiblement de celle des pays développés. Dans les pays de L’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE), les impôts sur la consommation représentent en moyenne 31,6% des recettes fiscales totales, les cotisations sociales 25,2%, les impôts sur le revenu des personnes physiques 23,6%, les impôts sur les sociétés 11,8% et les impôts fonciers 5,4%(3).
La structure tunisienne révèle donc une inversion significative par rapport aux standards OCDE. Tandis que les impôts indirects dominent en Tunisie (57,2% du total), ils ne représentent qu’environ 31,6% dans l’OCDE pour les taxes sur la consommation.
La Taxe sur la Valeur Ajoutée (TVA) constitue le pilier du système fiscal tunisien, avec 26,6% des recettes fiscales totales en 2025 (12 028 millions de dinars). Cette forte dépendance à la TVA, si elle garantit une certaine stabilité des recettes, présente l’inconvénient d’être régressive socialement, tout comme le droit de consommation. Les ménages à faibles revenus, qui consacrent généralement la grande partie de leur budget à la consommation, supportent la charge fiscale les plus élevée.
Vulnérabilité structurelle
L’impôt sur les sociétés, combinant les entreprises pétrolières (983 millions de dinars) et non-pétrolières (5 595 millions de dinars), représente en revanche 14,5% des recettes fiscales totales en 2025, un niveau inférieur aux standards internationaux et révélant une concentration excessive sur un nombre restreint de grandes entreprises.
L’analyse détaillée révèle que les entreprises pétrolières, bien que peu nombreuses, contribuent significativement aux recettes, créant une vulnérabilité structurelle du système face aux fluctuations des prix énergétiques.
Autre spécificité soulignée par l’étude, le régime forfaitaire qui constitue selon l’ITES une illustration manifeste de l’inégalité du système fiscal tunisien, et ce malgré les efforts consentis pour généraliser le régime réel. Alors qu’il concerne environ 40% des contribuables, l’apport du régime forfaitaire dans les recettes fiscales n’a pas dépassé 0,5% durant les 5 dernières années.
L’étude met par ailleurs en exergue un écart considérable du système fiscal tunisien avec les standards internationaux. Alors que le ratio moyen des recettes fiscales au PIB des pays de l’OCDE s’établit à 33,9% en 2023, la Tunisie présente un ratio de seulement 25,2% en 2024.
Cette contreperformance d’environ 9 points d’écart révèle l’ampleur des défaillances structurelles. Dans une étude consacrée à cette problématique, l’Institut tunisien de la compétitivité et des études quantitatives (ITCEQ) a pu estimer l’écart entre les recettes potentielles et les recettes effectivement collectées à environ 4,2% du PIB, soit près de 5,2 milliards de dinars tunisiens.
Pour instaurer un système fiscal équitable, les pouvoirs publics sont aussi appelés à relever un défi majeur qui concerne la perception de la fiscalité par les contribuables. Les chiffres montrent en effet que la déclaration volontaire des revenus se limite à seulement 33% des contribuables. Les deux autres tiers ont tendance à adopter des comportements d’évitement fiscal et une résistance accrue aux réformes destinées à élargir l’assiette fiscale.
Une situation qui n’aide pas à la lutte contre l’évasion et la fraude fiscale. La perception négative de la politique fiscale se trouve également renforcée par l’inefficacité de l’administration qui n’a pas les moyens nécessaires pour lutter contre la fraude.
H.G.

