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Editorial : La force prime sur le droit - Par Jalel HAMROUNI

La décision des États-Unis de sanctionner des magistrats de la Cour pénale internationale (CPI) pour avoir enquêté sur les crimes commis par l’entité sioniste contre les Palestiniens à Gaza marque un nouveau tournant inquiétant dans l’histoire déjà fragile de la justice internationale. Elle ne constitue pas seulement un acte de pression diplomatique ou un désaccord politique ; elle représente une attaque frontale contre le principe même de l’État de droit à l’échelle mondiale.

En ciblant des juges indépendants, Washington envoie un signal lourd de conséquences : le droit international serait facultatif, soumis aux intérêts des grandes puissances et à la protection de leurs alliés stratégiques, notamment l’entité sioniste qui semble être au-dessus de la loi.

Depuis sa création, la CPI incarne l’espoir, certes imparfait mais réel, d’un monde où les crimes les plus graves ; crimes de guerre, crimes contre l’humanité, génocide ; ne resteraient plus impunis. Elle est née des leçons douloureuses du XXe siècle, lorsque l’absence de justice a nourri la répétition des atrocités. Or, en sanctionnant des magistrats pour avoir simplement exercé leur mandat, les États-Unis sapent ce socle moral et juridique, tout en affaiblissant un mécanisme déjà sous pression.

Cette décision illustre de manière flagrante la politique du deux poids, deux mesures qui caractérise trop souvent l’approche américaine du droit international. Lorsque la CPI enquête sur des dirigeants africains ou des responsables de pays jugés hostiles à Washington, elle est présentée comme un outil légitime de justice.

Mais dès lors que ses investigations touchent son allié sioniste, la Cour devient soudain illégitime, politisée ou biaisée. Cette instrumentalisation du droit est profondément corrosive : elle transforme la justice en arme politique et détruit l’idée d’universalité des normes juridiques.

Plus grave encore, ces sanctions créent un précédent dangereux. Si la première puissance mondiale se permet de punir des juges internationaux pour leurs enquêtes, qu’est-ce qui empêchera d’autres États d’en faire autant ? Les régimes autoritaires pourraient s’engouffrer dans cette brèche pour justifier leurs propres pressions sur les institutions internationales. Le message est clair : la force prime sur le droit, et l’indépendance judiciaire devient une variable d’ajustement géopolitique.

Les conséquences humaines de cette posture ne doivent pas être sous-estimées. En affaiblissant la CPI, les États-Unis contribuent indirectement à renforcer l’impunité de l’entité sioniste. Or, l’impunité n’est jamais abstraite : elle se traduit par des civils bombardés, des populations déplacées, des vies brisées sans espoir de réparation.

Pour les victimes de crimes graves, la justice internationale représente souvent le dernier recours, la seule instance capable de reconnaître leur souffrance et de dire le droit lorsque les juridictions nationales sont défaillantes ou inexistantes. En sabotant ce mécanisme, Washington tourne le dos à ces victimes et nie leur droit fondamental à la vérité et à la justice.

Il est également paradoxal, voire hypocrite, que les États-Unis, qui se présentent volontiers comme les défenseurs de l’ordre international fondé sur des règles, contribuent eux-mêmes à son érosion.

Comment dénoncer les violations du droit international commises par d’autres États tout en sanctionnant ceux qui tentent de les documenter et de les juger ? Cette contradiction affaiblit la crédibilité morale de Washington et nourrit le cynisme mondial à l’égard des discours occidentaux sur les droits humains.

Certes, la CPI n’est pas exempte de critiques. Elle souffre de lenteurs, de limites structurelles et de rapports de force politiques. Mais la réponse à ces faiblesses ne peut être la coercition et l’intimidation. Elle devrait au contraire passer par le renforcement des mécanismes internationaux, le dialogue juridique et le respect de l’indépendance des institutions. Sanctionner des magistrats ne corrige rien ; cela ne fait qu’aggraver les fractures existantes.

En définitive, cette décision américaine dépasse largement le cas israélo-palestinien. Elle pose une question fondamentale : voulons-nous d’un ordre mondial régi par le droit ou par la loi du plus fort ? En choisissant la voie des sanctions contre la CPI, les États-Unis optent clairement pour la seconde option.

Il appartient désormais à la communauté internationale, aux États attachés au multilatéralisme et aux sociétés civiles, de défendre l’indépendance de la justice internationale. Car lorsque les juges sont sanctionnés pour avoir cherché la vérité, ce n’est pas seulement la CPI qui est attaquée, mais l’idée même de justice universelle.

J.H.

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