Par Imen Abderrahmani
Dans un village de Lattaquié, le rêve d’un enfant se heurte à la dure réalité économique et aux blessures de la guerre. À travers le destin de Zain et la disparition des orangeraies, Le chemin des orangers livre un récit sensible sur l’enfance, la mémoire et une terre menacée d’oubli.
Il s’appelle Zain. Comme beaucoup d’enfants de son âge, ce petit écolier d’un village de la région de Lattaquié nourrit un rêve simple : participer à un voyage scolaire avec ses camarades. Pour cela, il attend avec impatience que son père lui donne un peu d’argent, espérant que la récolte d’oranges sera enfin vendue. Mais les choses tournent mal. Ni son père ni les autres villageois ne parviennent à écouler leur production. La déception est immense, pour l’enfant comme pour l’adulte, acculé par la colère et le découragement.
Dans un geste brutal, le père choisit la voie la plus radicale : arracher les orangers et couper les arbres pour les remplacer par des oliviers, plus rentables. Un choix économique, certes, mais aussi une rupture symbolique, car les orangeraies font partie intégrante de la mémoire collective du village et de l’identité même de Lattaquié.
À travers des chemins montagneux sinueux bordés d’orangers à perte de vue, le réalisateur syrien entraîne son spectateur dans un voyage visuel saisissant. La caméra se déplace avec douceur, révélant des paysages à couper le souffle, que seules la précarité et les séquelles de la guerre viennent assombrir. Sur une colline, une petite maison modeste apparaît : celle où vit Zain, entourée d’oranges omniprésentes, tandis que ses parents luttent au quotidien pour survivre.
Obsédé par l’idée de participer à cette excursion scolaire, Zain commet l’irréparable : il vole de l’argent à sa sœur. Un secret lourd à porter, qu’il n’ose pas le partager même avec Leen, son amie proche et camarade d’école, qui tente de l’aider à sa manière. À hauteur d’enfant, le film capte avec finesse la culpabilité, la peur et l’innocence fragilisée par les contraintes du monde adulte.
…Sur la terre des oranges tristes
Le réalisateur Sami Farah glisse également un regard critique sur le système scolaire. À travers l’attitude nonchalante du directeur et de l’enseignante, il dépeint un lieu d’apprentissage vidé de son âme, où la relation reste verticale, distante, et où l’enfant n’est jamais réellement écouté.
Court-métrage syrien de 30 minutes, « Le chemin des oranges » résonne comme l’écho d’une crise économique profonde : celle de villageois incapables de vendre leurs produits agricoles, étouffés par les conséquences durables de la guerre. Mais au-delà de cette réalité sociale, le film s’impose comme une œuvre profondément symbolique.
En Syrie, l’orange dépasse en effet sa simple dimension agricole. Fruit emblématique des régions côtières, notamment de Lattaquié et de Tartous, elle incarne l’abondance perdue, la mémoire d’une terre fertile et une douceur arrachée à la violence de l’histoire récente.
Vers la fin du film, Zain, qui a tenté en vain de vendre du jus d’orange à Lattaquié, reprend le chemin de son village. À quelques kilomètres seulement, une fumée épaisse s’élève à l’horizon, bientôt suivie par le bruit sourd d’une explosion. Sa maison a été bombardée. Face à ce choc brutal, les souvenirs affluent : des fragments de vie familiale, des rires, des gestes simples, des oranges omniprésentes, toute une mémoire qui défile en silence devant ses yeux d’enfant. Le film s’achève sur une image poignante : Zain, hébété, rejoint d’autres enfants de son âge, entassés à l’arrière d’une voiture, contraints à un exil forcé. Une fin suspendue, où l’innocence se heurte violemment à la guerre et où l’enfance bascule, une fois encore, sur les routes de l’arrachement.
« Le chemin des oranges », un film marquant bien porté par deux excellents jeunes acteurs, les deux enfants Ahmad Janood dans le rôle de Zain et Mariaa Shabani dans le rôle de Leen.
Imen.A.

