Par Hassan GHEDIRI
La disposition du projet de loi de finances de 2026 suggérant le décaissement de 11 milliards de dinars par la BCT au profit du Trésor public serait une décision très risquée…
Depuis la diffusion ‘officieuse’ du document définissant l’ensemble des recettes et dépenses de l’Etat pour l’année 2026, les analyses et les commentaires fusent de partout. En supposant que la copie qui circule depuis deux jours et relayée par tous les médias correspondait bel et bien au projet de loi de finances remis par le gouvernement aux 161 députés à l’ARP, on peut estimer le déblocage d’un nouveau prêt par BCT pour financer le budget de l’Etat est, incontestablement, la décision qui ne manquera pas de susciter beaucoup de remous.
Selon le document partagé sur les réseaux sociaux, le gouvernement s’est référé aux dispositions de l’article 25 de la loi n°35 de 2016 datant du 25 avril 2016 portant fixation du statut de la Banque centrale de Tunisie, pour s’octroyer, une nouvelle fois, des facilités de financement au profit de la Caisse générale de la république tunisienne avec un prêt d’un montant total de 11000 millions de dinars, c’est-à-dire 11 milliards de dinars tunisiens.
En 2024 puis en 2025, le BCT s’est en effet vue à deux reprises contribuer au financement direct du budget de l’Etat à hauteur de 7 milliards de dinars. Ce montant correspondait jusque-là à la limite autorisée à l’institut d’émission au financement de l’Etat. Il est important de souligner que ces deux emprunts sont remboursables sur 10 ans sans intérêt et avec une période de grâce de 3 ans.
Pour ce qui est du nouveau financement prévu dans le PLF2026, la période de remboursement a été rallongée à 15 ans au lieu de 10 comme c’était le cas jusqu’ici, avec toujours les mêmes conditions : trois années de grâce et zéro intérêt.
Le gouvernement fait donc, une nouvelle fois, recours à un financement direct de la BCT malgré les réserves exprimées par beaucoup de spécialistes qui ne cessent de dénoncer la rupture avec le principe de l’indépendance de la banque centrale, et de mettre en garde contre les retombées de cette pratique sur les équilibres du marché financier et son rôle fondamental dans financement de l’économie.
Ce choix que l’Exécutif justifiera par les difficultés d’accéder aux financements extérieurs devait certes soulager temporairement les pressions sur le budget de l’Etat, mais risque d’avoir des conséquences désagréables.
Ridha Chkoundali, universitaire spécialiste d’économie et finances, appartient au rang des détracteurs de cette politique. Commentant les dispositions du PLF2026, il a estimé que quand le gouvernement se permettait de s’accorder un prêt direct et d’un montant faramineux de 11 milliards de dinars, qui équivaut par ailleurs à la valeur du déficit déclaré, pour financer son nouveau budget, ceci représente « une aventure aux conséquences incertaines ».
Et d’expliquer que ce financement aggravera la crise de liquidité (assèchement de liquidité) et réduira considérablement la part des opérateurs privés dans les fonds destinés au financement des investissements. Toute la liquidité va être exclusivement orientée vers les caisses de l’Etat au moment où l’investissement privé est déjà en panne dans un contexte caractérisé par une baisse drastique de l’épargne, souligne Chkoundali.
Et de considérer que le fait de compter sur l’autofinancement en détournant des fonds devant normalement être consacrés à l’investissement privé, pour financer les dépenses de l’Etat, ne peut aucunement servir l’intérêt des Tunisiens parce que, toujours d’après Chkoundali, il constituera une entrave majeure à la croissance et à la création de richesse.
«Cet emprunt faramineux est en totale contradiction avec la politique monétaire adoptée par la BCT qui se veut prudente et qui repose sur l’augmentation du taux directeur comme principal instrument pour juguler l’inflation. En effet, Chkoundali trouve complètement absurde que la BCT augmente son taux d’intérêt dont la conséquence est le renchérissement des crédits à l’investissement pour ensuite financer le Trésor public avec un taux d’intérêt nul.
H.G.