Sur l’île de Djerba, les citernes souterraines, ou fesguias, témoignent d’un savoir-faire ancestral en matière de gestion de l’eau. Inscrites dans un territoire désormais reconnu par l’UNESCO, elles font l’objet de projets de valorisation et de restauration visant à renforcer la résilience climatique et à préserver ce patrimoine hydraulique unique.
Les citernes, ces structures souterraines élaborées pour capter et stocker les eaux de pluie, révèlent l’ingéniosité d’une communauté qui a appris très tôt à composer avec la rareté hydrique. Héritées d’un savoir-faire ancien, elles continuent de jouer un rôle essentiel dans la vie religieuse, domestique et artisanale de l’île, offrant encore aujourd’hui une solution naturelle face aux changements climatiques.
À la différence des bassins à ciel ouvert du modèle tunisien classique, tels que ceux des Aghlabides à Kairouan, Djerba a développé un système entièrement souterrain : de vastes réservoirs alimentés par des canaux en terre cuite installés sous des toitures inclinées pour optimiser l’écoulement. Selon la chercheuse en patrimoine Rawdha Hamzi, ces structures remontent à l’époque romaine et ont perduré durant la période islamique, nourries par la tradition ibadite qui confère à l’eau une dimension sacrée, en écho au verset coranique : « Et Nous avons fait de l’eau toute chose vivante ».
Les mosquées de l’île témoignent de cette centralité de l’eau dans l’architecture religieuse. Dans les mosquées côtières, appelées « mosquées de la plage », une seule citerne était généralement construite afin de priver d’eau un éventuel ennemi venant de la mer, explique la chercheuse. À l’inverse, les mosquées-refuges situées à l’intérieur de l’île disposent de plusieurs citernes – jusqu’à six par site, comme à la mosquée Fadhloun ou à la mosquée Medrajen. Les mosquées-écoles, telles que celles de Sidi Sofien ou Abou Massour, peuvent en compter plus d’une douzaine afin d’assurer l’approvisionnement en eau pour les élèves, les fidèles et les voyageurs.
Dans l’architecture domestique et économique, les citernes (fesguias) demeurent un élément essentiel : on les retrouve dans les ateliers de tissage, les huileries, les fours traditionnels, les poteries, ainsi que dans les maisons où leur emplacement est minutieusement étudié pour conserver la fraîcheur de l’eau. Une citerne de quartier, appelée fessguiat essabil, est aussi construite comme acte de charité pour les passants.
« À Djerba, l’eau est sacrée, identitaire et patrimoniale », souligne Rawdha Hamzi. Elle rappelle que les ustensiles de conservation, les modes de transport et l’usage ritualisé de l’eau témoignent d’une véritable philosophie, intégrée dans l’architecture et la gestion des ressources.
L’île de Djerba est inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 2023, pour son urbanisme insulaire, ses villages, ses mosquées et son patrimoine culturel. Même si les citernes (fesguias) ne sont pas nommément listées, elles s’inscrivent pleinement dans la logique de gestion durable de l’eau et d’adaptation au territoire.
Face aux pressions climatiques, ces citernes anciennes font l’objet d’un nouvel intérêt. Plusieurs initiatives locales visent à les protéger et à les valoriser, dont le projet « 3R CC » (Recharge, Rétention et Réutilisation des Citernes d’eau à Djerba), piloté par l’Association pour la sauvegarde de l’île de Djerba (ASSIDJE). Le programme vise à renforcer la gestion durable des citernes, préserver ce patrimoine hydraulique ancestral et assurer un avenir plus résilient pour la population. L’association a recensé 121 fesguias publiques, en a restauré plusieurs et a installé de nouvelles citernes dans certaines écoles.
Parallèlement, le projet « Fesguietna » (Notre fesguia), piloté par l’Association Jlij pour l’Environnement Marin, en partenariat avec le Commissariat régional au Développement agricole et avec le soutien du Fonds mondial pour la nature (World Wide Fund for Nature – WWF) en Afrique du Nord, identifie et valorise les citernes publiques tout en sensibilisant la population locale et en l’impliquant dans la lutte contre la vulnérabilité de l’île face aux changements climatiques. Les interventions portent notamment sur le nettoyage, le retrait des sédiments, la consolidation des parois, l’amélioration des systèmes de collecte des eaux et l’aménagement des abords pour un accès sécurisé.
À Djerba, ces ouvrages hydrauliques ancestraux apparaissent désormais comme une ressource stratégique pour renforcer la résilience de l’île et préserver un patrimoine qui a façonné, pendant des siècles, les rapports entre l’homme, l’eau et le territoire.
Le Quotidien avec TAP

