Notre pays avait-il fait marche arrière en matière du respect de certaines règles fondamentales de lutte contre les crimes financiers ? C’est apparemment le cas au vu du scrutin ayant eu lieu avant-hier lundi 2 décembre à l’ARP dans le cadre de l’examen du budget de l’Etat de 2025 et qui a conduit au démantèlement de ce qui est censé être une barrière juridique contre l’évasion fiscale, le blanchiment d’argent et le financement de l’économie informelle.
Le texte adopté par la majorité des députés abroge une disposition en vigueur depuis 2019 et qui consiste à prohiber le paiement en cash les transactions d’un montant égal ou supérieur à 5 mille dinars tunisiens. Constituant l’un des axes de la stratégie nationale de décashing, cette mesure a été implémentée dans l’article 45 de la loi de finances de 2019.
La restriction a été alors justifiée par le ministère des Finances par les exigences de lutte contre la contrebande, le marché parallèle, le terrorisme et les transactions suspectes. A compter du 1er janvier 2026, prendra ainsi effet l’abrogation dudit article et seront appliquées les nouvelles dispositions prévues dans l’article 57 du PLF2026 autorisant le règlement intégral en espèces de toutes les transactions sans aucun plafonnement.
Une marche arrière, oui, mais qui va permettre, selon l’Exécutif, d’assouplir les procédures administratives et enlever les entraves rencontrées par les particuliers et les opérateurs économiques lors du règlement des transactions financières.
Avant d’être débattu et adopté en plénière, le projet portant abolition du fameux l’article 45 a d’emblée suscité la méfiance et la suspicion depuis son examen par la commission des finances. D’aucuns croient en effet qu’une telle démarche compliquera la traçabilité des transactions et rendra quasi-impossible la détection des flux suspects.
Soit une démarche qui va à l’encontre des orientations et des choix affichés par les institutions de l’Etat et qui vise la lutte contre la corruption et les crimes financiers. Mis à part les risques de voir notre pays s’attirer les foudres des institutions et organismes internationaux pour avoir, en quelque sorte, enfreint les règles de lutte contre la criminalité financière, l’abandon d’une restriction réglementaire qui renforce la traçabilité nuit à la crédibilité à beaucoup de politiques publiques.
Tandis que le montant des billets et de monnaies en circulation bat des records historiques en Tunisie (frôlant les 26 milliards de dinars au mois de novembre 2025 selon les indicateurs de la BCT) reflétant une explosion du cash, il devient légitime de mettre en question la fiabilité et la viabilité des politiques monétaires. En abrogeant l’article 45, l’Etat semble ainsi opter pour un assouplissement aux dépens de la transparence et de la traçabilité.
Or, dans une économie asphyxiée par l’évasion fiscale et par l’informalité, le décashing et la dématérialisation des transactions financières constituent des choix stratégiques et incontournables.
L’abrogation de l’article 45 s’apparente moins à un simple ajustement technique qu’à un véritable revirement stratégique, aux conséquences potentiellement lourdes. En renonçant à un instrument conçu pour structurer la transition vers des paiements plus traçables, l’État envoie un signal ambigu, voire contradictoire, par rapport à ses engagements répétés en matière de décashing, de modernisation financière et de lutte contre l’économie parallèle.
Ce choix, présenté comme une mesure d’assouplissement administratif, pourrait au contraire fragiliser la transparence, renforcer l’opacité des flux et affaiblir davantage la crédibilité des politiques publiques.
Dans un contexte où l’ampleur du cash met déjà à l’épreuve la stabilité monétaire et la capacité de régulation, cette marche arrière risque de compromettre les efforts de formalisation de l’économie et d’intégrité financière. C’est ce paradoxe qui fait de cette décision une volte-face risquée, dont les retombées pourraient durablement peser sur la gouvernance économique du pays.
H.G.

