Par Myriam BEN SALEM-MISSAOUI
Le projet de loi de finances pour l’exercice de 2026 prévoit l’instauration d’un impôt sur la fortune. Qui sont concernés par cette nouvelle fiscalité et à partir de quel seuil les concernés seront imposés ?
L’expert en économie et en finance Mohamed Salah Jennadi a éclairé notre lanterne : « Il s’agit d’une nouveauté dans le système fiscal tunisien qui a ses avantages, mais aussi ses incontinents ». Que dit, justement, le projet de loi ?
Selon l’article 50 du projet de loi du budget de l’année 2026 : « Cette nouvelle taxe s’appliquera aux personnes physiques dont la valeur totale des biens dépasse un certain seuil.
Elle concernera les biens immobiliers et mobiliers appartenant aux personnes physiques, y compris ceux détenus par leurs enfants mineurs, tous types d’actifs acquis comme les immeubles, les fonds de commerce, les biens mobiliers, les dépôts bancaires, les placements auprès d’institutions financières ou de la Poste tunisienne, les valeurs mobilières et les obligations et les capitaux propres.
Les Tunisiens résidant à l’étranger sont également concernés par cet impôt sous réserve des conventions internationales portant sur la non-double imposition. »
Et pour comprendre comment cette nouvelle imposition sera appliquée, l’expert en économie et en finance Mohamed Salah Jennadi nous apprend : «L’impôt sur la fortune sera calculé sur la valeur nette du patrimoine, après déduction des dettes y afférentes et en excluant certaines garanties réelles consenties aux entreprises. Ainsi, les taux seront de l’ordre de 0,5% pour les patrimoines compris entre 3 et 5 millions de dinars et de 1% pour les patrimoines supérieurs à 5 millions de dinars.
Au niveau juridique et procédural, cet impôt sera soumis aux règles du Code des droits et procédures fiscaux, notamment la déclaration et paiement, le contrôle et contentieux, la prescription et restitution et les sanctions en cas de manquement. »
Justice fiscale …
Pour les analystes fiscaux dont notre expert du jour, en l’occurrence Mohamed Salah Jennadi : « L’impôt sur la fortune taxe le patrimoine plutôt que les revenus. Cette dimension pose problème aux détenteurs de grandes fortunes immobilisées dans des actifs non liquides – immobilier, œuvres d’art, entreprises familiales.
Contrairement à un impôt sur le revenu, où la taxation concerne uniquement les gains annuels, l’impôt sur la fortune exige un prélèvement régulier sur un patrimoine qui ne génère pas toujours de liquidités immédiates. Cela peut entraîner une nécessité de vendre des actifs pour payer l’impôt, ce que certaines études et recherches, la dernière parue dans The Conversation, considèrent comme un frein à l’investissement et à la croissance économique et incite même à s’exiler fiscalement. »
Et d’ajouter : « Certains entrepreneurs et investisseurs estiment que cet impôt limite leur capacité à investir dans des projets nationaux. En conséquence, certains préfèrent délocaliser leur résidence fiscale pour bénéficier de régimes plus attractifs. Cependant, cet impôt sur la fortune a aussi des avantages. Selon l’étude citée ci-dessus, cet impôt alimente des programmes sociaux qui améliorent l’égalité des opportunités et atténuent les écarts de richesse entre héritiers et non-héritiers.
Dans les pays scandinaves, par exemple, l’impôt permet de financer des politiques publiques favorisant l’égalité des chances, comme l’éducation, la santé et l’accès au logement. En redistribuant une partie des grandes fortunes sous forme de services publics et d’investissements sociaux, il contribue à réduire les inégalités de départ entre les individus.
Certaines grandes fortunes, comme Warren Buffett ou Bill Gates, ont même plaidé en faveur d’une taxation plus élevée des grandes fortunes afin de renforcer la cohésion sociale. Pour rappel, la Suisse a prélevé 9,5 milliards d'euros sur le patrimoine des particuliers en 2023, ce qui représente 4,3 % de l'ensemble des recettes fiscales. En Espagne, ce chiffre était de 3,1 milliards d'euros, soit 0,6 % du total.
La Norvège a généré 2,7 milliards d'euros, soit 1,5 % de ses recettes fiscales, tandis que la France a collecté 2,3 milliards d'euros, ce qui correspond à seulement 0,2 %. »
M.B.S.M.