Par Hassan GHEDIRI
Le mécanisme de compensation des dettes permet aux entreprises publiques, souvent surendettées les unes envers les autres, de tenter une remise des compteurs à zéro sans passer à la caisse…
Le chiffre donne la chair de poule et met l’Etat le dos au mur : l’endettement cumulé des entreprises et établissements publics en Tunisie dépasserait aujourd’hui 100 milliards de dinars. En fait, c’est ce qui ressortait des données comptables officielles que certains experts ont pu consulter. Abdelbasset Sammari, expert en finances, qui semble avoir eu l’opportunité d’examiner des documents comptables sur la dette publique a mis en garde contre ce qu’il considérait comme « un danger imminent ».
Samamri pense, en effet, que cette dette colossale, alimentée principalement par le poids des charges financières et du service de la dette, représente aujourd’hui une menace directe pour les équilibres budgétaires de l’État et pour sa capacité à financer les investissements dont dépend la relance économique. Transparence exige, il appelle les autorités compétentes, à savoir le ministère des Finances, l’INS et la Cour des comptes à publier les états et comptes détaillés des entreprises publiques des cinq dernières années (2019-2024), c’est-à-dire l’encours de la dette, le service de la dette, les comptes annuels et la liste des garanties.
Dans cette situation exceptionnelle, l’expert pense qu’il faut prendre des mesures exceptionnelles et adaptées et exigées par les circonstances. Ainsi, il propose un plan d’actions global visant à alléger ce fardeau et à restaurer la crédibilité financière du secteur public. Au cœur de sa réflexion se trouve le recours au mécanisme de compensation des dettes entre entreprises publiques. A première vue, le principe parait complexe. Pour comprendre la démarche, admettons que la plupart des entreprises et organismes publics en Tunisie sont à la fois débiteurs et créanciers les uns envers les autres. La SONEDE doit par exemple régler ses factures d’électricité à la STEG, laquelle est elle-même endettée auprès de la Compagnie tunisienne de navigation pour le transport de gaz. Dans le même temps, l’État demeure redevable envers la SONEDE de subventions couvrant une partie de ses coûts. Ainsi, au lieu de laisser cette spirale d’obligations réciproques devenir infernale et complètement incontrôlable étouffant au passage la trésorerie des entreprises, l’expert propose l’emploi du mécanisme de compensation des dettes qui permet de les annuler partiellement à travers un jeu d’écritures comptables. Les créances d’une société viennent ainsi couvrir ses dettes envers une autre, ce qui réduit le volume global des arriérés et redonne une bouffée d’oxygène financière sans mobiliser de liquidités immédiates.
Cette solution ne résout toutefois qu’une partie du problème de l’endettement public en Tunisie. Pour restaurer les équilibres, les spécialistes suggèrent la mise en place d’un plan national de désendettement progressif passant par le rééchelonnement des échéances et la renégociation des taux d’intérêt. Ils insistent également sur la nécessité de relancer et de dynamiser l’investissement public et privé dans les secteurs stratégiques, afin de soutenir la croissance et la création d’emplois. Enfin, le cap doit être mis sur la transparence et sur la bonne gouvernance, impliquant la publication régulière des états financiers des entreprises publiques, ce qui est de nature à rétablir la confiance des citoyens et rassurer les investisseurs.
L’ampleur de la dette des entreprises publiques n’est donc pas seulement un problème de comptabilité, mais le reflet d’un blocage structurel qui freine le développement économique et fragilise la capacité de l’État à remplir ses missions. La compensation des dettes pourrait ainsi constituer un volet dans un grand programme de l’assainissement financier qui va de pair avec la relance de l’investissement et la modernisation de la gouvernance.
H.G.