Par Chokri Baccouche
Depuis son indépendance du Royaume-Uni en 1956, le Soudan enchaine les conflits et traine ses heurts et malheurs comme Sisyphe son rocher. La guerre civile qui fait actuellement rage dans cet immense pays semi-désertique du nord-est de l’Afrique est particulièrement atroce pour les populations civiles.
Déclenchée en avril 2023 par deux chefs de guerre, ex-alliés au pouvoir, cette effroyable guerre a fait, en deux ans et demi, entre 150 et 450 mille morts. Elle oppose les forces armées nationales dirigées par Abdelfattah Al-Burhan et les Forces de Soutien Rapide, un groupe paramilitaire contrôlé par Mohame Hamdane Dagalo, alias Hemedti.
Ce dernier a fait parler de lui de la pire des manières il y a quelques jours. Ses hommes de main ont perpétré, en effet, un horrible massacre à El-Fasher, chef-lieu de la province du Darfour.
Des villages entiers ont été ainsi rasés et pour comprendre l’ampleur du massacre dans une zone difficile d’accès, les laboratoires de recherche humanitaire de Yale aux Etats-Unis ont pris de la hauteur et analysé les images satellites. En quelques heures seulement, ils ont pu détecter et repérer des corps humains empilés partout dans la ville.
Un véritable carnage qui n’est pas sans rappeler le génocide des Tutsis survenu en 1994 au Rwanda et, plus récemment encore, les massacres de masse perpétrés par l’armée sioniste contre les civils palestiniens à Gaza.
Coauteurs d’un coup d’Etat militaire qui a mis brutalement fin au mandat de Abdallah Hamdok, l’ancien chef du gouvernement intérimaire, Abdelfattah Al-Burhan et Hamdane Dagalo, se livrent depuis une guerre féroce pour le plein pouvoir, plongeant ainsi le pays dans le chaos et la désolation. La rivalité meurtrière entre les deux généraux a provoqué un exode massif des populations civiles. Plus de 14 millions de Soudanais ont dû fuir leur pays pour se réfugier au Tchad notamment, où ils vivotent dans des conditions précaires.
A ces exilés forcés s’ajoute le spectre de la famine qui a frappé de plein fouet près de 25 millions de Soudanais, selon le décompte des agences spécialisées.
Cette tragédie à répétition a des causes profondément inscrites dans l'histoire du Soudan et dans ses innombrables conflits internes. Mais elle a aussi de nombreuses ficelles internationales.
Plus exactement, le Soudan est victime de ses innombrables richesses minérales et de la convoitise des grandes puissances qui cherchent à en prendre le contrôle. L’or à profusion, le fer, le cuivre, le chrome, le pétrole ainsi que d’immenses superficies de terres arables et très fertiles, sur les rives du Nil notamment, sont autant de richesses que compte le pays et qui attirent les prédateurs comme des mouches.
Comme il faut s’y attendre, les deux généraux en lutte pour le pouvoir disposent chacun de sponsors étrangers. Si des pays comme l’Egypte soutiennent officiellement l’armée nationale, d’autres, en revanche, à l’instar notamment des Emirats arabes unis, prêtent main forte aux paramilitaires des Forces de Soutien Rapide en leur procurant équipements militaires et toute la logistique nécessaire.
Le fait que l’or du Soudan est principalement exporté vers l’Egypte et les Emirats arabes unis explique d’une certaine façon l’engagement de ces deux pays, de manière directe et indirecte, dans le conflit soudanais. En somme, le malheur des uns fait le bonheur des autres ou, pour paraphraser un célèbre adage ancestral, il n’y a pas de chat qui chasse pour le Créateur.
Le drame qui se déroule actuellement au Soudan n’est pas sans rappeler d’ailleurs la crise qui fait rage en Libye depuis la chute de Mouammar Kadafi. L’un comme l’autre comportent les mêmes ingrédients et les mêmes causes à quelques menues différences près. L’un et l’autre ont pour toile de fond une lutte pour le pouvoir entre deux rivaux soutenus, chacun, par des parties étrangères.
Lesquelles parties ne le font pas bien évidemment pour des prunes mais pour accaparer une part substantielle du gâteau. Au final, ce sont toujours les populations civiles qui paient les pots cassés par ces guerres fratricides qui constituent une véritable insulte au bon sens et à l’intelligence.
Des guerres atroces qui auraient pu être évitées si leurs principaux protagonistes avaient eu la présence d’esprit de mettre de l’eau dans leur vin en plaçant l’intérêt de leur pays au-dessus des considérations strictement personnelles. Aussi bien Debaiba et Hafter en Libye que Al Borhane et Dagalo au Soudan ont tout intérêt à se rendre à l’évidence que rien ne sert de courir derrière un pouvoir absolu quand il y a risque de perdre l’essentiel et le plus important en cours de route, à savoir l’intégrité et l’indépendance de son propre pays.
C.B.

