Il aura suffi d’une seule image : celle d’une otage israélienne, pâle et amaigrie, les traits tirés par la faim, filmée par la résistance palestinienne, pour que l’Occident tout entier s’émeuve, s’indigne, convoque les caméras et multiplie les condamnations. En quelques heures, la machine médiatique et diplomatique s’est mise en branle. Emmanuel Macron a parlé de «traitement inhumain». Olaf Scholz a dénoncé une «honte pour l’humanité». Même la Maison-Blanche, toujours très mesurée lorsqu’il s’agit de morts palestiniens, a exprimé son «horreur» et exigé la libération immédiate de tous les otages.
Mais où était cette même horreur lorsque les enfants palestiniens mouraient jour après jour de faim dans le nord de Gaza ? Où étaient ces mêmes voix occidentales quand les images de nourrissons faméliques, les côtes saillantes, les yeux éteints, circulaient sur les réseaux sociaux, rapportées par les ONG, les médecins et les rares journalistes encore présents sur le terrain ? Où étaient ces indignations en mars, en avril, en mai, quand la famine, oui, la famine, était déjà une réalité quotidienne pour des centaines de milliers de Palestiniens piégés dans l’enfer de l’enclave ?
Ce deux poids deux mesures n’est pas une simple omission diplomatique. C’est une trahison morale. C’est l’aveu que, pour les dirigeants occidentaux, toutes les vies ne se valent pas. Une otage israélienne souffrant de la faim mérite l’indignation mondiale. Mille enfants palestiniens morts de malnutrition et de manque de soins n’appellent qu’un silence gêné, au mieux un appel tiède à «améliorer l’accès humanitaire».
La stratégie de l’armée sioniste est claire depuis le début de la guerre : affamer Gaza pour briser la résistance. Couper l’eau, bloquer l’aide humanitaire, bombarder les silos de blé, empêcher les camions de passer, cibler les agriculteurs, les pêcheurs, les boulangeries. Une politique de la terre brûlée et de l’estomac vide. Et pourtant, les capitales occidentales refusent obstinément d’en parler comme d’un crime de guerre. Pire encore : elles continuent à armer, financer et justifier l’État responsable de cette catastrophe humanitaire.
On aurait pu croire que la famine, ce fléau que l’humanité moderne pensait avoir relégué aux livres d’histoire, provoquerait un sursaut moral. Mais non. Tant qu’elle frappe les Palestiniens, elle est tolérable et relativisée. Et si elle est évoquée, c’est pour être imputée, comble de l’hypocrisie, au Hamas lui-même, comme si ce dernier contrôlait les frontières, les ports, les routes, l’espace aérien. Comme si une armée surpuissante, soutenue par les États-Unis, ne tenait pas chaque gramme de nourriture entrant à Gaza sous contrôle militaire.
Les images de l’otage affamée, diffusées avec calcul par la résistance palestinienne, agissent ainsi comme un miroir brutal tendu à l’Occident. Elles montrent non seulement le sort difficile des otages mais surtout l’incapacité, ou plutôt le refus, des dirigeants occidentaux à regarder en face l’ampleur du drame vécu par les Palestiniens. Cette image a bouleversé les chancelleries car elle touche à ce que l’Occident considère comme « ses semblables ». Elle a réveillé une sensibilité que les corps faméliques de Gaza n’ont jamais réussi à émouvoir. Voilà l’indécence : la compassion à géométrie variable.
Il ne s’agit pas ici de nier la souffrance des otages sionistes. Mais comment justifier que cette souffrance-là monopolise l’attention politique et médiatique, alors qu’un génocide lent se déroule à quelques kilomètres de là, sous les yeux de tous, documenté par les ONG les plus respectées, et validé dans son silence par ceux-là mêmes qui prétendent incarner les valeurs des droits humains ?
Les peuples du Sud, les opinions publiques arabes, africaines, asiatiques, ne sont pas dupes. Ils voient l’injustice. Ils sentent la partialité. Ils constatent chaque jour l’écart entre les discours occidentaux sur les droits de l’homme et leur application sélective selon les intérêts géopolitiques et les affinités ethniques.
L’histoire jugera sévèrement cette époque où l’Occident, si prompt à donner des leçons de morale, a détourné les yeux devant la famine imposée à un peuple tout entier. Ce silence complice, cette indignation sélective, ne sont pas seulement une faute politique. Ils sont une faillite éthique. Et ils creuseront encore davantage le fossé entre l’Occident et le reste du monde.
Gaza meurt, sous les bombes, mais aussi à petit feu, dans l’indifférence glaciale des grandes démocraties. L’image d’un otage affamée aura eu plus d’impact que des milliers de cadavres palestiniens. C’est là tout le drame. Et c’est à l’Occident d’en tirer les leçons.
J.H.