« De l’Ecole de Tunis à la Modernité » est la thématique des enchères en ligne qui se déroulent du 3 au 10 décembre 2025, ainsi que de la vente en salle qui se tiendra le mercredi 10 décembre, accompagnée d'une exposition muséale organisée en parallèle.
Le lot phare de cette vente, annonce Marsa Enchères -première maison de vente d’œuvres d’art en Tunisie- est une œuvre majeure du célèbre peintre tunisien feu Jellal Ben Abdallah, intitulée « Khamsa w Khmis », réalisée en acrylique et feuilles d’or sur panneaux (120 x 240 cm), et commandée à l’artiste en 1985.
Œuvre hybride à la fois décorative et narrative, témoin de la maturité artistique du maître dans les années 80, « Khamsa w Khmis » (expression populaire dans le dialecte tunisien pour la protection et l'éloignement du mauvais oeil) est une œuvre monumentale et emblématique de l’univers pictural et poétique de Jellal Ben Abdallah, considérée comme l’une des pièces majeures de l’art moderne tunisien. Conservée dans la même famille depuis sa création, elle reflète la pleine maturité artistique du maître dans les années 1980.
Commandée en 1985 pour épouser la forme d’un mur curviligne dans une villa de la banlieue nord de Tunis, « Khamsa w Khmis », soigneusement conservée au même endroit pendant près de quarante ans, naît d’une rencontre inspirante : l’artiste découvre une demeure conçue par l’architecte Mira Lelaumier. Séduit par l’harmonie des volumes, la lumière et la vue sur la mer, il imagine une composition dédiée aux valeurs familiales, aux gestes transmis et à la mémoire domestique. Commandée directement auprès de lui en 1985, « Khamsa w Khmis » demeure une création rare au sein de son œuvre.
L’œuvre est un paravent à quatre panneaux représentant cinq femmes tunisiennes en costumes traditionnels rehaussés de feuilles d’or, bercées dans un décor méditerranéen mêlant artisanat, architecture arabo-andalouse et univers marin. La palette douce d’ocres, de vert d’eau et de roses fumés restitue la lumière des terrasses tunisiennes et la sérénité du littoral.
Œuvre hybride entre tableau, paravent et installation murale, « Khamsa w Khmis » peut être présentée en ligne droite, en arc ou en angle droit. Ses charnières en cuivre soulignent son caractère artisanal, tandis que ses dimensions en font une pièce à la fois décorative et profondément narrative, selon la présentation de l’œuvre.
Un univers féminin ancré dans l’imaginaire tunisien
La toile offre un voyage visuel à travers un univers féminin profondément ancré dans l’imaginaire méditerranéen et tunisien. Sur le panneau gauche, une table ottomane richement ornée d’oiseaux, de coquillages et de crustacés évoque d’emblée les rivages généreux de la Tunisie, tandis qu’en arrière-plan se dessine une terrasse ponctuée d’agaves, plante emblématique des paysages littoraux. Le regard glisse ensuite vers le premier panneau central, où une jeune femme assise tient un poisson, symbole de vie et d’abondance. A ses côtés se tient une silhouette élancée portant un plateau et une cruche, gestes qui rappellent la générosité, l’hospitalité et l’art de recevoir.
Dans le panneau suivant, une femme en train de filer la laine. Le geste soigneux, devant cette machine traditionnelle de filage, elle continue son travail. Un panneau qui renvoie au temps, à la mémoire et au savoir-faire transmis de génération en génération. Enfin, le panneau droit met en scène une jeune fille penchée sur un petit métier triangulaire, concentrée sur son ouvrage, tandis qu’une femme au profil noble se tient à ses côtés, le regard tourné vers l’horizon, incarnation d’une figure méditerranéenne sereine et intemporelle.
L’ensemble de la composition est unifié par un arrière-plan commun dominé par un large « barmakli » surmontant une porte traditionnelle de Sidi Bou Said, motif architectural reconnaissable entre tous : un minaret s’élève discrètement, créant un lien subtil entre l’espace intime des femmes et la présence tranquille de la ville, comme une respiration entre passé, quotidien et héritage spirituel.
Jellal Ben Abdallah, ce « conteur » de la Tunisie
Né en 1920 à Tunis, Jellal Ben Abdallah est l’un des peintres tunisiens les plus emblématiques du XXème siècle. Très tôt, il développe un sens aigu de l’observation et une passion pour le dessin. Son enfance est marquée par les couleurs, les ruelles et les scènes populaires de la médina de Tunis et de Sidi Bou Saïd, qui deviendront les cadres récurrents de son œuvre nourrissant son goût prononcé pour les atmosphères théâtrales et les intérieurs détaillés.
Autodidacte dans un premier temps, il s’inspire des miniatures orientales, des artisans et de l’imagerie populaire. Il fréquente rapidement les artistes de l’Ecole de Tunis, dont Amor Ghrairi, Aly Ben Salem et Jellal Ben Abdallah père (artisan en cuivre), qui enrichissent sa vision du patrimoine visuel tunisien. Son œuvre - scènes de mariage, henné, musiciens, artisanes, patios, ruelles, cafés...- constitue une archive visuelle de la Tunisie du XXème siècle.
Jellal Ben Abdallah a continué de travailler jusque dans les dernières années de sa vie. Il décède en 2017, laissant derrière lui une œuvre immense, recherchée par les collectionneurs et les passionnés d’art, et régulièrement présente dans les expositions et ventes aux enchères.
Le Quotidien avec TAP

