À la date du vendredi 11 juillet 2025, la quantité de billets et monnaies en circulation en Tunisie a été de l’ordre de 25,090 milliards de dinars, selon le décompte publié par la Banque centrale de Tunisie (BCT). Le cash, qui tend à disparaître progressivement dans beaucoup de pays du monde sur fond d’une dématérialisation accélérée des transactions et d’une démocratisation massive des paiements sans contact, garde paradoxalement son règne en Tunisie, ravitaillant sans répit une «informalité» généralisée.
25 milliards de dinars est un très mauvais record «sonnant et trébuchant» que notre pays bat dans cette «indiscipline» monétaire. C’est aussi le reflet éclatant d’une véritable et profonde crise de confiance envers tout ce qui matérialise la régularité financière, fiscale, économique et politique. 25 milliards de dinars d’argent liquide qui circulent dans l’économie, c’est du jamais vu, et c’est quatre fois le volume du cash d’avant 2011. C’est, surtout, une immense économie noire qui carbure au cash sans aucune trace et sans aucun bénéfice pour la fiscalité publique. Et donc, un manque à gagner terrible pour un État incapable d’enclencher la dynamique de croissance et de développement tant espérée, et qui ne sait plus jusqu’à quand il va continuer à s’endetter pour rembourser ses créanciers.
Entre-temps, le décashing annoncé sans cesse durant plus d’une décennie comme étant un antidote à l’informalité de l’économie reste un slogan creux, malgré les bonnes volontés et les multiples réformes... restées sur le papier. En l’absence de véritables ruptures avec les pratiques anciennes, l’argent continue de fuir les circuits réglementaires du financement de l’économie pour se réfugier dans les coffres-forts des contrebandiers et les matelas des particuliers. Si, dans le monde, l’on constate la montée en puissance des modes de paiement électronique, le règne du cash est, lui, loin de s’achever en Tunisie.
Ce recours excessif à l’argent liquide n’est pas seulement le symptôme d’une économie malade, il en est aussi l’un des principaux agents infectieux. Il entretient un cercle vicieux où l’opacité des flux financiers alimente l’évasion fiscale, encourage la corruption, dissuade l’investissement formel et prive l’État de marges budgétaires vitales. Ce sont des milliards de dinars qui échappent chaque année au Trésor public, compromettant la capacité du pays à financer ses services de base, à investir dans ses infrastructures et à honorer ses engagements sociaux. Le problème ne se limite donc pas à une anomalie monétaire. Il traduit un déséquilibre systémique, où la perte de contrôle sur les flux d’argent alimente le désordre macroéconomique. Ce sont aussi les règles du jeu qui se retrouvent faussées : le commerçant qui déclare ses revenus et paie ses impôts est désavantagé par rapport à celui qui travaille exclusivement au noir. L’artisan ou l’industriel qui respecte la légalité subit une concurrence déloyale face à des réseaux informels dopés par le cash, qui ne paient ni impôts ni charges sociales. Résultat : le tissu économique national s’érode, les incitations à la conformité s’effondrent et la confiance dans l’État s’amenuise.
Le coût de cette anarchie monétaire ne se mesure pas uniquement en milliards manquants dans les caisses publiques. Il se mesure aussi en opportunités perdues. Chaque dinar qui échappe à la traçabilité est un dinar qui n’alimente pas le crédit, qui ne soutient pas l’investissement productif, qui ne participe pas à l’effort collectif de redressement. C’est un dinar stérile, souvent utilisé dans des circuits spéculatifs, informels ou illicites, au lieu de circuler dans les artères de l’économie réelle.
H.G.