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Editorial : Errare humanum est, perseverare diabolicum

Par Chokri Baccouche

Comme s’il n’y avait pas assez de difficultés dans le pays, voilà qu’un autre problème émerge. Un sacré problème qui ne date pas d’aujourd’hui en fait. On l‘aura certainement deviné, il s’agit de la crise environnementale dans le gouvernorat de Gabès à l’origine, ces derniers jours, de vives tensions sociales. Les habitants de la région sont en colère et cela se comprend. La pollution générée par les unités de production du phosphogypse du Groupe chimique tunisien fait des dégâts considérables depuis des années. Non seulement les émissions de gaz toxiques ont gravement porté préjudice à l’environnement ainsi qu’à la faune et la flore marines mais elles causent de plus en plus des problèmes de santé pour les citoyens de ce gouvernorat qui donnent de la voix ces derniers jours pour réclamer leur droit légitime à la vie dans un environnement sain.
Comment en est-on arrivé là ? La question de la dégradation de l’environnement à Gabès n’est pas chose nouvelle mais persiste depuis des décennies. Tous les gouvernements qui se sont relayés à la barre n’ont pas daigné saisir le taureau par les cornes pour apporter des solutions tangibles à ce problème récurrent qui revient au-devant de la scène nationale par intermittence. A chaque accès de fièvre revendicative des populations locales qui expriment pacifiquement leurs préoccupations et leurs doléances, les responsables gouvernementaux sortent de leur léthargie en promettant de faire le nécessaire pour améliorer la situation et rendre l’air de la région plus respirable. Mais ces promesses restent malheureusement sans lendemain, si bien que les nerfs sont aujourd’hui à bout et que la patience et la confiance de ces citoyens marginalisés arrivent à saturation dans l’incapacité de supporter davantage une situation alarmante et toxique sur tous les plans. La principale cause de ce capharnaüm est due au laxisme des responsables concernés qui ont négligé le fait que le massacre en règle de l’environnement à Gabès pouvait devenir à la longue une véritable bombe à retardement. La preuve de cette intolérable négligence fait d’ailleurs pousser des cheveux sur la tête d’un chauve : lors de la séance plénoère dédiée à cette crise tenue il y a quelques jours, le ministre de l’Équipement et de l’Habitat, Salah Zouari, a affirmé que les difficultés actuelles sont liées à l’absence d’achèvement de 6 projets de maîtrise des émissions gazeuses au complexe chimique de Gabès. Cet aveu fracassant en dit certainement long sur le lien de causalité entre le laisser-aller quasi permanent des autorités pour des raisons qu’on ne saurait justifier et cette crise larvée qui a fini à la longue par exploser.
"Errare humanum est, perseverare diabolicum" : cette locution latine vieille comme le temps signifie que « l'erreur est humaine, mais persévérer [dans son erreur] est diabolique ». Elle souligne en fait que faire des erreurs est une part naturelle de l'humanité, mais qu'il est moralement répréhensible de s'obstiner dans ses erreurs une fois qu'on en a pris conscience. Rapportée à la problématique gabésienne, il importe aujourd’hui de tout faire pour décanter la situation et résoudre une bonne fois pour toutes le problème de la pollution environnementale dans sa dimension plurielle, c’est-à-dire à l’échelle de tout le pays dans le cadre d’une stratégie globale, car ce problème récurrent ne touche pas seulement le gouvernorat de Gabès. A quelque chose, dira-t-on, malheur est bon. Cette crise est venue nous rappeler l’extrême importance de ne pas retarder la réalisation des projets vitaux liés notamment à la protection de l’environnement et, partant, la santé publique. A la limite, le Tunisien peut comprendre et supporter tant bien que mal les aléas d’une conjoncture difficile marquée par la cherté de la vie, mais il est légitimement moins compréhensif et tolérant quand la qualité élémentaire de la vie, à savoir celle de l’air qu’il respire, est menacée par des agents toxiques, nuisibles à la santé.
Dans le foisonnement des événements de ces derniers jours, les Tunisiens doivent faire la part des choses et garder à l’esprit les intérêts suprêmes du pays. Certes, il y a un problème environnemental à Gabès qui doit être résolu de manière radicale dans les plus brefs délais pour rassurer et répondre aux attentes légitimes des habitants de la région. Par souci de salubrité publique, la résolution de ce problème peut et doit s’effectuer dans le calme et la lucidité, loin des débordements et de l’instrumentalisation potentielle de cette crise par certaines parties à des fins politiques. Peu importe si la question environnementale à Gabès sera réglée à travers la réhabilitation concrète ou le démantèlement pur et simple des unités de production du CGT, une question qui peut d’ailleurs faire l’objet de concertations et d’un compromis associant toutes les parties prenantes. L’essentiel c’est de veiller à ce que cette crise ne dépasse pas le cadre des préoccupations écologiques et surtout, surtout ne fasse pas l’objet de surenchères douteuses dont le pays ferait certainement l’économie. Dans un contexte régional et international marqué par la montée des incertitudes et des défis, les Tunisiens ont appris à mesurer les enjeux et démontré leur capacité à résoudre leurs problèmes par leurs propres moyens. Dans l’unité et la discipline et au nom de la préservation des intérêts suprêmes de la nation…
C.B.

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