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Editorial : Ne ressent la brûlure de la braise que celui qui marche dessus

Par Hassan GHEDIRI

Un vaste mouvement de débrayage devrait paralyser aujourd’hui l’ensemble des activités dans la ville de Gabès. Une grève générale qui vient couronner les manifestations populaires contre les industries polluantes dans la région, guidées depuis plus de trois semaines par des associations de la société civile. Un grand débrayage qui se trouve mis sous la bannière de l’UGTT après un mot d’ordre émis samedi par la section régionale de la centrale syndicale.

Peu importe celui ou ceux qui ont appelé à l’escalade face à cette crise environnementale et sanitaire qui frappe une région abritant les industries les plus polluantes du pays. Ce qui compte le plus aujourd’hui, c’est la réaction de l’Etat.

Omettant, jusqu’ici, d’écouter les doléances des habitants sortis par milliers dans les rues de la ville pour crier leur ras le bol et réclamer le droit de «respirer», l’Etat s’est encore une fois trompé de réponse, en privilégiant une réplique policière musclée.

Une réaction digne d’un Etat qui ne veut pas entendre les cris d’une frange frustrée de la population. Pace ce que les slogans scandés, aujourd’hui, par les manifestants à Gabès sont les mêmes criés depuis plus d’une décennie par le collectif «Stop pollution» actif depuis 2012. L’Etat ne peut pas réduire la crise de Gabès dans les dérapages qui peuvent toujours survenir lors de mouvements de colère, ni dans la grève générale qui est une forme de protestation légitime.

L’Etat doit reconnaître sa responsabilité dans les préjudices infligés durant des décennies et qui continuent encore aujourd’hui à être causés à des centaines de milliers de citoyens dans plusieurs villes du pays. Vient ensuite l’obligation de proposer une solution radicale qui ne va sans doute pas dédommager les dégâts mais qui mettrait, au moins, une fin à la catastrophe sanitaire et épargnerait les générations futures.

Pour ceux qui minimisent la souffrance des habitants de ces villes affectées par la pollution et qui préfèrent croire aux théories de complot qui pullulent ces derniers temps, il y a un proverbe tunisien qui illustre parfaitement leur position complètement déraisonnable et qui veut dire en substance qu’il ne peut ressentir la brûlure de la braise que celui qui marche dessus.

Ce que des centaines de milliers de nos concitoyens endurent à cause de la pollution industrielle est une injustice intolérable qui ne peut pas durer. Tous ceux qui, parmi nous, qui ne vivent pas à Gabès ni à Sfax, ont certainement eu une fois vécu la désagréable expérience d’inhaler les gaz dégagés par les industries dans cette région.

L’on n’est d’ailleurs pas obligé d’entrer dans la ville pour savoir de quoi on parle, il suffit d’être sur l’autoroute à plusieurs dizaines de kilomètres pour avaler d’horribles gaz qui encombrent l’atmosphère. Il est question de minuscules particules atmosphériques mesurant moins de 10 micromètres, c’est-à-dire un millième de millimètre et qui représentent, selon l’OMS, les polluants les plus dangereux pour l’homme et l’environnement.

Responsable de plus de 4 millions de décès dans le monde chaque année, les polluants atmosphériques pénètrent par les voies respiratoires pour provoquer des maladies chroniques, telles que l’asthme jusqu’à des tumeurs mortelles.   

En 2018 a été éditée une étude financée par la commission européenne sur l’impact de la pollution industrielle dans la région de Gabès. Dans le rapport publié à cet effet, l’on souligne, entre autres, que les activités du Groupe Chimique Tunisien génèrent chaque année environ 5 millions de tonnes de phosphogypse et ce depuis l’implantation des unités de production d’acide phosphorique en 1972.

En plus de ces déchets solides, les six unités qui assurent plus de 55% de l’activité de transformation du phosphate appartenant au GCT et implantées à Gabès sont également responsables des émissions gazeuses composées d’ammoniac, d'oxydes d'azote, de dioxyde de soufre et de plusieurs autres gaz émis durant la production d’acide phosphorique.

Dans la caractérisation des pollutions générées par les activités industrielles dans la région de Gabès, l’étude conclut que les polluants majeurs dont les concentrations sont estimées excessives et dépassant les limites autorisées sont principalement émis par les activités du GCT. Donc, tant que ni le ministère de la Santé ni celui chargé de l’Environnement n’aient eu le courage de dire toute la vérité sur l’impact de la pollution industrielle ni pour divulguer les chiffres sur la prévalence des cancers et autres pathologies chroniques tributaires aux industries, l’Etat mérite d’être mis au banc des accusés.

H.G.

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