Par Hassan GHEDIRI
Le 1er septembre est apparu le rapport africain qui dresse l’état des lieux du progrès réalisé dans le continent en ce qui concerne la résilience et la souveraineté en matière de maitrise des données numériques.
Le document intitulé « le bond numérique de l’Afrique : cloud, connectivité et intelligence artificielle dans la prochaine décennie » (Africa’s Digital Leap: Cloud, Connectivity & AI in the Next Decade) et qui tente de tracer la trajectoire du secteur numérique dans le continent au cours des 10 prochaines années s’articule sur trois axes, en l’occurrence l’adoption du Cloud en Afrique en tant qu’infrastructure de stockage et de maitrise des ressources informatiques, la connectivité et le développement de l’Intelligence artificielle. Le constat le plus marquant pouvant être souligné dans ce rapport, c’est sans conteste le nombre de bases de données (datacenters) que comptent tous les pays africains, se limitant à 211 unités opérationnelles, selon les auteurs du rapport. Encore faut-il souligner que près de 46 % de ces infrastructures sont concentrées dans seulement quatre pays, à savoir l’Afrique du Sud, le Kenya, le Nigeria et l’Égypte sur un total de 54 pays.
La Tunisie, quant à elle, ne dispose que de quatre datacenters, un nombre qui, selon les spécialsites, met à nu une vulnérabilité préoccupante et une forte dépendance vis-à-vis des infrastructures étrangères. Cette situation suscite les inquiétudes en ce qui concerne la capacité du pays à préserver sa souveraineté dans un monde où les données numériques sont devenues une arme de domination et un instrument d’influence économique et politique.
D’aucuns croient en effet que malgré qu’elle soit un pays pionnier en Afrique en matière du numérique et d’internet, la Tunisie souffre d’un manque flagrant de restructuration et de personnels spécialisés dans le domaine du Cloud. Le pays a pourtant pu développer ces dernières années une formation de très haut niveau qui ne profite souvent pas au pays à cause de l’incapacité de retenir des milliers d’ingénieurs qui préfèrent travailler à l’étranger. Le développement d’une infrastructure numérique solide et sécurisée garantissant une protection optimale des données constitue, à cet effet, un maillon essentiel de la souveraineté nationale. Il est en fait impératif pour notre pays de maitriser toutes ses données sensibles (gouvernementales, financières, médicales, sécuritaires…) qui doivent obligatoirement être hébergées en Tunisie. L’absence d’une infrastructure qui permet l’hébergement de ces données rend le pays dépendant vis-à-vis de l’étranger et soulève de grandes inquiétudes de cybersécurité.
Fragilité stratégique
Aujourd’hui, nombreux sont les experts qui établissent un constat pessimiste et alarmiste de la situation en Tunisie, et ce, au vu du fait que la majorité du contenu des entreprises tunisiennes sont hébergées à l’étranger. D’ailleurs, il suffit de noter que plus de 95% du trafic internet consommé aujourd’hui par les Tunisiens provient de l’international, contre seulement moins de 5% en local. Ceci dit, ce trafic des données, c’est-à-dire la consommation d’internet est payée en devises étrangères et devra augmenter davantage par l’implantation de la 5G, devient de plus en plus coûteux pour le pays. Il est donc indispensable de valoriser la donnée en Tunisie afin de réduire le coût et d’encourager l’hébergement des données sur le territoire national.
La fragilité n’est pas uniquement économique. Elle est aussi stratégique et sécuritaire. Dans un contexte mondial marqué par la montée en puissance de l’intelligence artificielle et par la multiplication des cyberattaques, l’incapacité d’héberger localement ses propres données expose le pays aux risques d’espionnage de piratage des données sensibles, voire la suspension pure et simple de l’accès à beaucoup de services essentiels. Le pays se trouve donc doublement fragilisé puisque dépendant technologiquement de l’étranger et vulnérable en ce qui concerne la sécurité de ses données.
Pour remédier à de telles faiblesses, la modernisation des infrastructures numériques doit être intégrée dans les politiques de développement en tant qu’une priorité nationale. La construction de datacenters puissants, résilients et sécurisés constitue par ailleurs une condition indispensable pour répondre aux multiples défis posés par les bouleversements liés à l’intelligence artificielle. En investissant massivement dans ces domaines le pays sera capable de consolider sa souveraineté tout en se positionnant comme un acteur incontournable dans l’économie numérique en Afrique. Ceci nécessite aussi le développement des formations orientées vers le numérique. Notre pays se classe certes parmi les plus avancés en Afrique en matière de formation digitale, mais il reste confronté à une fuite massive de ses talents. Renforcer la formation dans les métiers du numérique et offrir un environnement favorable à l’innovation sont des leviers essentiels pour retenir et valoriser ces compétences.
H.G.