Par Hassan GHEDIRI
Une année et quatre jours se sont écoulés depuis la publication du décret instaurant un régime de protection sociale des femmes travaillant dans l’agriculture. Un texte qui attend désespérément son activation…
Le Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES) n’a pas voulu que la date du 22 octobre passe sans que l’Etat ne soit rappelé à ses responsabilités envers les travailleuses agricoles. Parce que mercredi dernier marque exactement une année depuis la publication dans le Journal Officiel du décret censé transformer radicalement la vie des dizaines de milliers de femmes travaillant dans l’agriculture et mettre un terme à la précarité et la marginalisation qu’elles subissent depuis des décennies.
Le décret-loi n°2024-4 du 22 octobre 2024, puisque c’est de lui qu’il s’agit, instaure en effet un régime de protection sociale pour les travailleuses agricoles, leur donnant accès à l'assurance maladie, aux pensions d'invalidité, à l'assurance contre les accidents du travail, aux congés de maternité et aux transferts financiers mensuels.
Il crée également le « Fonds de protection sociale des travailleuses agricoles » pour soutenir leur intégration économique et financer leur couverture sociale, notamment grâce à un budget de l'État et à des taxes sur les assurances et les amendes routières. Seulement, aujourd’hui, soit un peu plus d’un an après son entrée en vigueur, ce texte, présenté comme une avancée historique pour la reconnaissance des droits des femmes rurales, reste lettre morte.
Et pour cause, les neuf textes d’application qu’il exige, dont quatre arrêtés ministériels et trois conventions, maquent toujours à voir le jour. Résultat : aucun changement concret n’a touché la vie des milliers de travailleuses agricoles sombrant dans la précarité, l’exploitation et la marginalisation.
Adopté en octobre 2024, le décret avait pourtant soulevé un grand espoir, celui de corriger une injustice qui dure depuis très longtemps. Il devait garantir aux travailleuses agricoles un cadre légal leur assurant protection sociale, sécurité au travail, accès à la couverture des soins, indemnités, pensions et formations. Il prévoyait même la création d’un fonds spécial baptisé « Fonds de protection sociale des travailleuses agricoles » chargé d’assurer la couverture sociale et d’aider à l’inclusion économique des travailleuses agricoles.
Injustifiable
Jusqu’ici, aucun des mécanismes prévus par ce nouveau régime de protection sociale n’est opérationnel. La promesse d’un changement profond est restée confinée aux pages du JORT alors que, pendant ce temps, des milliers de femmes agricoles s’exposent chaque jour à tous les dangers, sans aucune protection ni garantie, en se déplaçant dans des camionnettes surchargées, sans contrat, sans assurance, pour aller travailler dans des conditions souvent inhumaines.
Une situation qui ne peut pas durer parce que déjà le coût de cette négligence est exorbitant. Le FTDES aurait recensé un peu plus de 90 accidents de transport impliquant des travailleuses agricoles au cours des cinq dernières années, causant 68 décès et plus d’un millier de blessées. Des drames en série qui commencent à être traités comme de simples faits divers, alors que derrière chaque chiffre, beaucoup de vies sont dévastées.
Le FTDES trouve par ailleurs ridicule le salaire minimum agricole fixé à 20,320 dinars par jour. Un revenu qui suffit à peine pour survivre et ne fait qu’augmenter la précarité et aggraver l’exclusion et l’injustice sociale. Parce qu’aujourd’hui plus de 85% des femmes travaillant dans l’agriculture en Tunisie n’ont aucune couverture sociale. Le rappel de l’Etat à ses responsabilités a été indispensable parce qu’entre le discours officiel sur la justice sociale et la dignité du travail et la réalité du terrain, il y a tout un monde. Aucune excuse ne pourrait en effet expliquer le retard que prennent les institutions de l’Etat dans la publication des textes applicatifs d’une loi censée changer le quotidien de milliers de femmes.
H.G.

