Par Hassan GHEDIRI
Depuis 2024, l’institut d’émission s’est transformée en véritable bailleur de fonds direct du Trésor public, avec des encours en hausse historique et des remboursements quasi nuls…
C’était pourtant écrit dans « la bible » des banques centrales du monde entier : pour éviter l’inflation et préserver son indépendance, toute institution d’émission qui se respecte ne devait en aucun cas financer directement le Trésor public. Pourtant, face à l’urgence des caisses vides à laquelle se heure l’Exécutif en Tunisie, un bon bout de temps, la règle semble avoir volé en éclats. Les données des dernières années dressent d’ailleurs un tableau sombre et inquiétant : un État de plus en plus dépendant des liquidités de sa Banque centrale, fermant les yeux sur de multiples risques pour les équilibres fondamentaux de l’économie
Le financement direct du Trésor public par la BCT était en effet considéré comme une ligne rouge comme le stipule l’article 25 de la loi de 2016 avant qu’il ne soit légalisé. Ainsi, en 2020, une première avance de 2,8 milliards de dinars (MD) était décaissée «exceptionnellement» pour faire face à la pandémie. Après la fin de la crise sanitaire qui a paralysé le monde entier, l’encours retombe à 1,4 MD fin 2023. L’accalmie n’a duré que peu de temps puisqu’en 2024, le gouvernement a fait voter une loi de finances prévoyant l’octroi par la BCT d’une enveloppe de 7 MD. Durant l’année écoulée, le Trésor public a pompé 6,7 MD, portant l’encours total à 8,1 MD en novembre dernier. Et la machine de se mettre en branle…
Début 2025, une seconde tranche de 7 milliards était autorisée. Résultat ? En août 2025, les chiffres de la BCT font état d’un record historique de l’encours des facilités directes accordées à l’État, dépassant les 11,65 MD. Le problème, selon beaucoup d’experts, c’est que l’État ne semble pas accorder beaucoup d’importance aux échéances de ces emprunts. C’est ce que croit Abdelbasset Sammari, expert en finances, qui explique que sur plus de 14 milliards tirés depuis 2020, seulement 1,9 milliard a été remboursé. Ceci étant dit, ces « facilités » sans intérêt, remboursables sur 15 ans, ressemblent de plus en plus à une dette perpétuelle. Sauf que cette démarche est très risquée. Injecter autant de liquidités sans contrepartie productive risque de faire grimper la masse monétaire et, à terme, d’attiser l’inflation, érodant le pouvoir d’achat des Tunisiens. Elle représente aussi une charge supplémentaire sur les réserves déjà fragiles en devises étrangères et augmente la dépendance de l’Etat à une source budgétaire improductive formée par la « planche à billets.
Face à une telle dérive, les experts s’interrogent sur le véritable sens de la souveraineté économique. Abdelbasset Samari estime que le discours officiel du «compter sur soi» est un leurre. Privé de financements extérieurs et incapable de générer suffisamment de recettes propres, l’État s’est simplement fié à la seule institution capable de lui avancer des fonds : la BCT. « Compter sur soi en Tunisie ne signifie plus mobiliser ses propres ressources, mais revient désormais à compter sur la Banque centrale», résume-t-il.
Ainsi, la ligne rouge du non-financement direct a été non seulement franchie, mais institutionnalisée. Parce que tout laisse croire aujourd’hui que cette « béquille monétaire », supposée être un instrument exceptionnel employé à court terme pour payer les salaires et les créanciers, est presque devenue la norme, fragilisant durablement l’ensemble du système financier du pays.
H.G.