Par Myriam BEN SALEM-MISSAOUI
La vidéo mise en ligne mettant en scène deux rappeurs en pleine bagarre dit long sur la violence verbale et physique que véhicule ce genre musical devenu un danger pour les jeunes…
La violente rixe a eu lieu à La Soukra, gouvernorat de l’Ariana, et ses deux principaux protagonistes sont les deux rappeurs Lya et Boussaada. Et dès que la vidéo filmant la scène a été mise en ligne, c’est toute la Toile qui a été enflammée. Et si le Rap s’est imposé ces dernières années comme le genre musical préféré des jeunes, c’est la violence verbale et physique véhiculée par les rappeurs qui interpelle et inquiète les observateurs. Comment, justement, tracer cette frontière parfois ténue entre la « violence artistique » et la violence tout court ?
Pour la spécialiste en sociologie et membre de l’Association internationale de défense des droits de l’homme et des médias, Mariem Letaiem : « Au-delà du langage violent du Rap, c’est le clash entre rappeurs qui génère plus de violence et incite à la bagarre voire au règlement de comptes. Il s’agit d’une provocation par morceaux interposés, devenue l’une des bases du rap. Ce qui s’est passé entre les deux rappeurs tunisiens de l’Ariana confirme d’ailleurs ce constat ».
Pour Christian Béthune, chercheur spécialiste du rap, le clash est aussi une affaire de marketing, « Malgré tout, il arrive que la fonction symbolique du clash soit parfois brisée, et que les rappeurs en viennent aux mains, comme ce fut le cas en France entre les rappeurs Booba et Kaaris. On peut également rajouter à cela un aspect marketing : pour l’opposition entre Kendrick Lamar et Drake comme pour d’autres, le clash attise l'intérêt du public et booste les écoutes », affirme-t-il. Ne serait-il pas temps de s’interroger sur la pertinence d’une qualification artistique assurant une quasi-impunité à l’ensemble des rappeurs sans distinction, comme l’estime la chroniqueuse française, Olivia Dufour?
Malaise social…
Le chercheur Richard Shusterman estime à cet égard qu’«aujourd’hui, aucun genre ne démontre plus ce danger que la musique rap, avec laquelle notre esthétique pragmatiste a été intimement associée, pour le meilleur et pour le pire. Au cours de la dernière décennie, le rap est devenu le symbole culturel premier de la violence, diabolisé sous la figure menaçante du jeune Noir insoumis du ghetto, et visé par les médias, la police, et même par une longue liste d’hommes politiques ». Et d’ajouter : « Longtemps associé aux destructions des violences de rue, le rap fait aussi preuve de violence esthétique. Par sa rythmique, vive et intense, par ses méthodes mêmes, consistant à sampler et scratcher des disques, par son style, fondé sur l’agressivité sonore et le rentre-dedans, le rap possède une vigueur esthétique qui exalte l’énergie et la conscience de ses auditeurs. Le mot d’ordre de ses débuts, « Balance le son » (Bring the noise), constituait la déclaration acoustique d’une contestation violente. Une certaine violence fut reconnue nécessaire pour briser le complot du silence et du contentement qui entourait l’oppression économique, la violence policière, et les autres maux sociaux qui gangrènent les quartiers noirs ».
Le lien entre le Rap et la violence est tellement très complexe que même l’IA s’est emparée du sujet. En lui posant la question, l’IA estime que si certaines études montrent une corrélation entre le rap et la violence, il est important de ne pas établir un lien de causalité direct. La violence est un phénomène complexe qui s'inscrit dans un contexte social et culturel plus large, et le rap n'en est qu'une des expressions. En conclusion, la violence dans le rap est un sujet complexe qui mérite une analyse nuancée. Il est important de reconnaître que le rap peut être un moyen d'expression de la violence, mais aussi un outil de dénonciation sociale et de lutte contre les injustices. Il est crucial de ne pas réduire le rap à la violence et de reconnaître la richesse et la diversité de ce genre musical.
M.B.S.M.