Par Chokri Baccouche
Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Europe n’a jamais été confrontée à un nombre aussi considérable de problèmes en tout genre. La récession économique frappe en effet de plein fouet le vieux continent, l’inflation y galope à bride abattue mettant à mal le pouvoir d’achat des citoyens européens qui peinent de plus en plus à joindre les deux bouts. La guerre en Ukraine, financée en bonne partie par les pays européens, rajoute une bonne couche à ce magma de pépins qui génèrent beaucoup de tensions sociales.
Bref, la crise enfle en Europe et les perspectives ne s’annoncent pas de tout repos dans un contexte international sous haute tension marqué par la montée des défis et des incertitudes aux relents géopolitiques et stratégiques.
Et pour couronner le tout, les mouvances politiques d’inspiration extrémiste ont gagné du terrain un peu partout en Europe. Si dans de nombreux pays membres de l’U.E les partis politiques d’extrême droite ont enregistré ces dernières années une progression spectaculaire, dans d’autres les formations nationalistes ont même accédé au pouvoir pour la première fois en prenant part à des coalitions gouvernementales.
C’est le cas notamment de l’Italie, la Pologne, la République tchèque, la Hongrie, la Belgique, la Finlande, la Slovaquie, les Pays-Bas, l’Autriche et la Suède. On peut dire que nos voisins du Nord mettent de plus en plus le cap vers l’extrême droite à toute allure. Les sociologues qualifient cette tendance inédite de repli identitaire.
Quand la crise s’installe, comme c’est le cas actuellement, les peuples deviennent introvertis et se renferment sur eux-mêmes. Cette période de vaches maigres est du pain béni pour les mouvements nationalistes qui exploitent la peur du lendemain de leurs concitoyens à des fins bassement politiques en désignant bien évidemment le parfait bouc émissaire, l’émigré en l’occurrence, qui devient ainsi la cause principale de tous les problèmes.
Depuis les premières grandes vagues de l’émigration, les travailleurs étrangers nés au-delà des frontières européennes sont, en effet, considérés comme des trouble-fêtes identitaires et culturels. Par temps de crise, ils sont carrément accusés de constituer une menace pour la cohésion sociale, une concurrence sur le marché du travail, voire un péril pour la patrie.
Ces expatriés, qui ont pourtant largement contribué à la reconstruction de l’Europe, deviennent la cible privilégiée d’actes racistes et discriminatoires, comme cela s’est passé il y a quelques jours en Suède lors de la manifestation organisée par un mouvement néo-nazi à Stockholm, la capitale de ce pays scandinave, naguère réputée pour sa tolérance et son ouverture sur les autres cultures.
Il y a quelques jours, une commission du Parlement européen a approuvé une première liste de « pays d’origine sûrs ». La Tunisie y figure, aux côtés d’autres États considérés, dans le jargon bruxellois, comme ne présentant pas de risque généralisé de persécution pour leurs ressortissants.
Sans trop rentrer dans les détails, cette classification pourrait se traduire et c’est là l’hypothèse la plus plausible par un renvoi massif des Tunisiens qui seront déboutés de l’asile politique et peut-être même aussi les migrants d’autres nationalités ayant transité par la Tunisie. Pour faire plus simple donc, le classement de la Tunisie en « pays d’origine sûr » ouvre une phase nouvelle.
Sur le papier, il « permet aux États européens de traiter plus vite les dossiers de demandeurs d’asile tunisiens. Dans la pratique, il signifie surtout des refus plus rapides, des renvois facilités et la possibilité de faire de la Tunisie un point de chute pour des migrants dont l’Europe ne veut plus», souligne l’ancien député Mejdi Kerbaï.
Bien qu’ils aient été validés en commission par les ministres européens de l’Intérieur, les textes ne seront définitivement adoptés qu’après avoir reçu le feu vert du Parlement européen lors d’une plénière qui devrait se tenir en principe au début de l’année prochaine. Une chose est sûre en revanche : l’Europe se barricade, durcit comme jamais vu auparavant sa politique migratoire et vire à l’extrême droite à toute vitesse.
Un virage inquiétant qui n’est pas sans rappeler d’ailleurs la période sombre ayant précédé la montée au pouvoir en Allemagne du Parti national-socialiste des travailleurs allemands d’un certain Adolf Hitler, de triste et sinistre mémoire. En attendant de voir plus clair dans cette affaire qui n’incite pas du tout à l’optimisme, on serait bien inspiré, chez nous, de bien se préparer pour parer à toutes les éventualités.
La Tunisie, qui joue un rôle central sur la route migratoire vers l’Europe, dispose en fait d’une carte maitresse lui permettant de faire entendre sa voix et imposer ses points de vue pour protéger ses arrières et ses intérêts et non point subir sans broncher les décisions prises par l’U.E. Et peu importe si cette Europe, aujourd’hui dans une mauvaise passe et qui se veut plus adroite, effectue un virage très risqué vers l’extrême droite...
C.B.

