Alors que Donald Trump multiplie les déclarations en faveur d’un accord de paix rapide entre la Russie et l’Ukraine, l’Europe semble, elle, s’enfermer dans une logique d’escalade. Entre sanctions renforcées, livraisons d’armes toujours plus lourdes et rhétorique martiale, les capitales européennes donnent le sentiment de s’engager dans une confrontation stratégique qu’elles ne sont ni prêtes à assumer ni capables de gagner.
La guerre qui ravage l’Ukraine depuis 2022 n’a pas seulement épuisé Kiev : elle a révélé les fragilités profondes d’un continent qui se découvre vulnérable, tant sur le plan militaire que financier et énergétique. Et c’est précisément pour cela qu’il devient urgent, vital même, de redonner une chance à la paix.
Trump, quel que soit le jugement politique que l’on porte sur lui, exprime un point simple : ce conflit ne peut se régler durablement sur le champ de bataille. Ni l’Ukraine ni la Russie n’y ont un intérêt réel et encore moins l’Europe, qui se trouve en première ligne en cas de dérapage.
La Russie demeure une puissance militaire majeure, dotée d’une profondeur stratégique et d’une capacité industrielle que ni les sanctions ni l’effort technologique occidental n’ont réussi à briser. L’Ukraine dépend désormais totalement de l’aide internationale. Quant aux États-Unis, leur position varie au gré des cycles politiques : Washington soutient Kiev, certes, mais sans jamais engager son propre territoire ou son industrie au point de risquer un affrontement direct avec Moscou.
L’Europe, elle, se trouve coincée dans une position beaucoup plus périlleuse. La récente proposition de financer l’Ukraine en utilisant les avoirs russes gelés en est une preuve éclatante.
Derrière l’apparente audace de cette mesure se cache une réalité beaucoup plus inquiétante : les budgets européens sont à bout de souffle, et les opinions publiques commencent à montrer des signes de lassitude. Recourir aux fonds gelés de Moscou, loin d’être une démonstration de force, révèle au contraire une faiblesse structurelle.
Si l’Europe avait la capacité financière de soutenir l’effort de guerre ukrainien sur le long terme, elle n’aurait pas besoin de détourner des actifs étrangers au risque d’un séisme juridique et diplomatique.
Cette démarche envoie un message limpide à la Russie : l’Europe n’a pas les moyens d’une confrontation prolongée. Sur le plan militaire, malgré des annonces répétées, les arsenaux restent insuffisants, les chaînes de production lentes, les capacités de défense anti-aérienne limitées. Sur le plan énergétique, la rupture avec la Russie a certes été en partie compensée, mais au prix d’une inflation galopante et d’un affaiblissement industriel lourd. Sur le plan politique enfin, le continent est divisé, hésitant, et souvent en réaction plutôt qu’en stratégie.
Face à une Russie qui, de son côté, considère ce conflit comme existentiel et affirme qu’elle ira jusqu’au bout, l’Europe ferait bien de méditer sur ses propres limites. Les déclarations de Moscou menaçant de hausser le ton ne doivent pas être prises à la légère : la Russie dispose de moyens militaires conventionnels importants, mais aussi d’une capacité de pression hybride, énergétique, cybernétique, diplomatique, que l’Europe connaît déjà trop bien.
Dès lors, la question n’est pas de savoir si l’Europe doit céder ou s’incliner, mais si elle peut se permettre de continuer sur une voie qui pourrait la conduire à sa propre déstabilisation. La paix ne doit pas être un mot tabou. Chercher un compromis, explorer des options diplomatiques, pousser Kiev et Moscou à renouer le dialogue : tout cela n’a rien d’une capitulation. C’est au contraire un acte de responsabilité, de lucidité et, finalement, de courage politique.
Il est temps que l’Europe cesse de se comporter comme si elle était protégée de toutes conséquences. La géographie ne changera pas : la Russie sera toujours là, immense, voisine, dotée d’une puissance militaire redoutable. L’illusion selon laquelle une guerre prolongée affaiblirait Moscou au point de forcer un effondrement stratégique relève plus du fantasme que du calcul rationnel. En revanche, ce conflit affaiblit déjà l’Europe : économiquement, politiquement, socialement.
Donner une chance à la paix n’est pas un signe de faiblesse. C’est peut-être la seule voie réaliste pour éviter à un continent vieillissant, fragile et profondément dépendant du reste du monde de devenir le grand perdant d’un affrontement qu’il n’a ni choisi ni maîtrisé. La diplomatie n’est pas une fuite : c’est le dernier bastion de la raison dans un climat où l’irrationalité gagne du terrain. L’Europe ferait bien de s’en souvenir avant qu’il ne soit trop tard.
J.H.

