Par Chokri BACCOUCHE
Comme il l’avait récemment promis, le président américain a signé, vendredi dernier, un décret visant à rebaptiser le département U.S de la Défense en ministère de la Guerre. Par cette décision historique qui intervient dans un contexte international sous haute tension, Donald Trump veut envoyer un « message de victoire et de force » au reste du monde. «Défense, c'est trop défensif, et nous voulons aussi être offensifs», avait déclaré le locataire de la Maison Blanche à la presse, laissant entendre qu'il n'aurait pas besoin d'un vote du Congrès pour procéder au changement. Le président américain estime que «ce ministère devrait porter un nom qui reflète sa puissance sans égale et sa capacité à protéger les intérêts nationaux». Les Etats-Unis, possédant la plus grande armée du monde, il s'agit selon lui de faire régner «la paix par la force» et de veiller à ce que « le monde respecte à nouveau les Etats-Unis ». Marchez à l’ombre peuples de la planète, le pays de l’oncle Sam revendique désormais la guerre comme identité nationale. Et gare à ceux qui s’aventurent, délibérément ou par inadvertance, à marcher sur ses plates bandes. Auquel cas, ils seront bons pour l’échafaud, les valeureux GI’S se chargeront de les remettre sur le droit chemin à coups de tatanes.
Bien qu’il relève d’un acte de souveraineté incontestable et qu’il ne soit pas nouveau en réalité, ce changement d’appellation parait assez contradictoire et troublant. La raison en est que la doctrine militaire américaine sous les auspices du Pentagone n’a jamais été strictement défensive. On peut même dire qu’elle est offensive à outrance comme le confirme le nombre pléthorique de guerres décrétées par l’Amérique ces dernières décennies. Pis encore, l’écrasante majorité de ces conflits ayant généré des dégâts matériels et humains considérables ont été déclenchés sous des prétextes fallacieux et des mobiles fabriqués de toutes pièces. Il serait certainement long et fastidieux de faire l’inventaire des guerres injustes et injustifiées initiées par les Etats-Unis sans l’aval de l’ONU et au grand mépris du droit international. Par cette initiative qui suscite beaucoup de questions légitimes, le fantasque Donald Trump veut montrer en réalité ses biscoteaux pour intimider les pays qui cherchent à concurrencer d’une manière ou d’une autre les Etats-Unis et, partant, à remettre en cause leur leadership mondial. On pense notamment au groupe des Brics et, surtout, surtout à l’alliance stratégique qui vient d’être scellée entre les trois puissances nucléaires de l’Extrême Orient, à savoir la Chine, la Russie et la Corée du Nord. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si la décision trumpiste de changer l’appellation du Pentagone est intervenue officiellement 48 heures après la tenue du grand défilé militaire place Tian’anmen, mercredi 3 septembre à Pékin, célébrant les 80 ans de la fin de la victoire sur le Japon en 1945. Les présidents russe, Vladimir Poutine, chinois, Xi Jinping, et le leader nord-coréen, Kim Jong-Un, avaient pris place dans la tribune d’honneur, côte à côte, lors de cette gigantesque parade militaire démontrant au passage une affinité partagée et une quête manifeste visant à réaliser des objectifs stratégiques communs.
Plus qu’une simple entente, cette réunion tripartite a été perçue par les observateurs avertis comme une occasion idéale de proclamer la fin du système international dominé par l'Amérique. Militant pour un ordre multipolaire, sans règle universelle contraignante, les trois dirigeants, estiment les experts, cherchent à rappeler leur solidarité entre nations pénalisées par l'Occident et témoigner de leur capacité à contourner toutes les tentatives de Washington, ou de l'Europe, de les isoler, politiquement ou économiquement. L’amitié publiquement affichée entre le chef du gouvernement indien, Narendra Modi, et Vladimir Poutine lors du sommet de l’Organisation de coopération de Shanghai, lundi dernier, à Tianjin, avait déjà agacé le président américain qui voit certainement d’un mauvais œil ces rapprochements très redoutés, annonciateurs de prochains bouleversements géopolitiques et stratégiques.
Les récents événements qui vont certainement peser lourd sur l’équilibre des forces dans le monde durant la prochaine période ont, apparemment, poussé Donald Trump à changer la dénomination de son département de la Défense, dans un geste qui trahit en réalité une certaine frustration voire une colère difficilement contenue. Cette rebaptisation donnera-t-elle pour autant l’effet escompté et permettra-t-elle au président américain d’atteindre l’objectif initial qu’il s’était fixé ? Rien n’est moins sûr, comme le confirme d’ailleurs Brad Browman, le directeur principal du Centre sur le pouvoir militaire et politique de la Fondation pour la défense des démocraties. Ce dernier a souligné en effet que la "suprématie militaire américaine s'est déjà érodée" et que le changement de nom "n'y changera rien". Défensif ou offensif, c’est du pareil au même en somme. Le monde change et Donald Trump serait bien inspiré de reconnaitre cette vérité et d’admettre finalement que les guerres constituent le chemin le plus court pour déstabiliser davantage la planète. La mise en place d’un ordre mondial plus juste et équilibré, fondé sur le droit et l’entente cordiale entre les nations, est la seule voie passante pour éviter les scénarios catastrophes qui ne servent en réalité l’intérêt de personne…
C.B.