Le défilé militaire spectaculaire organisé en Chine en présence de Vladimir Poutine et de Kim Jong Un marque un tournant symbolique et stratégique dans les relations internationales contemporaines. Au-delà de l’aspect protocolaire et de la démonstration de force, ce rassemblement de trois puissances contestataires face à l’Occident traduit l’émergence d’un nouvel ordre mondial où les États-Unis et leurs alliés européens ne sont plus les arbitres exclusifs des rapports de puissance. Pékin, Moscou et Pyongyang affichent désormais une solidarité de circonstance qui puise sa légitimité dans la dénonciation de l’hégémonie occidentale et dans la quête d’un équilibre géopolitique plus diversifié.
Depuis la fin de la guerre froide, Washington et ses partenaires transatlantiques ont longtemps cru que leur domination militaire, économique et culturelle était irréversible. L’OTAN s’est imposée comme l’outil privilégié de projection de cette puissance, souvent au détriment du droit international et des équilibres régionaux. Mais les conflits prolongés en Irak et en Afghanistan, les sanctions répétitives utilisées comme armes diplomatiques et l’alignement automatique des Européens sur les positions américaines ont fini par révéler les limites de ce modèle unipolaire. L’Occident, sûr de sa suprématie, a sous-estimé la capacité des autres pôles de puissance à s’organiser, à coopérer et à résister.
Le défilé militaire chinois auquel ont assisté Poutine et Kim Jong Un illustre cette dynamique. La Chine, moteur économique et technologique de l’Asie, renforce sa posture militaire pour sécuriser ses intérêts dans le Pacifique et au-delà. La Russie, malgré les sanctions occidentales, a consolidé ses alliances énergétiques et militaires, trouvant en l’Asie un partenaire stratégique et une alternative crédible aux marchés occidentaux. Quant à la Corée du Nord, longtemps marginalisée, elle bénéficie désormais d’une visibilité et d’une légitimité nouvelles en s’affichant aux côtés de deux géants du monde multipolaire.
Ce rapprochement n’est pas seulement circonstanciel. Il repose sur une lecture commune de l’histoire récente : l’Occident n’a cessé d’imposer ses normes et ses intérêts aux autres nations, souvent au prix de crises profondes. Qu’il s’agisse de l’élargissement de l’OTAN vers l’Est, perçu comme une provocation par Moscou, ou du déploiement de bases américaines dans le Pacifique, que Pékin interprète comme une stratégie d’encerclement, les grandes puissances émergentes refusent désormais de subir. Elles entendent proposer un contrepoids et imposer la reconnaissance de leur rôle incontournable.
Ce défilé militaire est donc bien plus qu’une parade d’armement. C’est un message politique fort : le monde ne peut plus être dirigé par un seul camp. Les États-Unis et leurs alliés européens doivent comprendre que leur logique de confrontation permanente ne fait que renforcer la solidarité de leurs adversaires. À force de diaboliser Moscou, Pékin ou Pyongyang, l’Occident a contribué à souder ces régimes autour d’une même ambition : construire un ordre mondial affranchi de la tutelle américaine.
La réaction des capitales occidentales sera déterminante. Elles peuvent persister dans une approche agressive, faite de sanctions, de menaces et de campagnes de stigmatisation médiatique. Mais cette stratégie s’avère de moins en moins efficace. L’économie mondiale s’est déjà fragmentée, avec la montée en puissance de nouvelles structures telles que les BRICS élargis ou l’Organisation de coopération de Shanghai. Les sanctions, censées isoler la Russie, ont au contraire accéléré son pivot vers l’Asie et renforcé ses liens avec la Chine. Le refus obstiné de Washington d’admettre l’échec de sa politique étrangère nourrit le ressentiment et alimente l’escalade.
Une autre voie est pourtant possible. L’Occident peut choisir de revoir sa copie, d’adopter une approche plus réaliste et plus respectueuse des équilibres internationaux. Cela suppose de reconnaître la pluralité des centres de décision, de cesser de considérer le reste du monde comme un simple terrain d’influence et d’engager un dialogue sincère avec ceux qu’il qualifie aujourd’hui d’adversaires. L’histoire montre que l’arrogance impériale finit toujours par se heurter à la résistance des peuples et des nations.
L’émergence de ce nouvel ordre mondial n’est pas une menace en soi, mais une opportunité de repenser la gouvernance internationale. Le multilatéralisme réel, et non celui instrumentalisé par quelques capitales occidentales, pourrait offrir une réponse plus juste aux grands défis de notre époque : climat, sécurité alimentaire, régulation technologique ou encore paix mondiale. Le monde ne peut plus se permettre d’être dirigé par une minorité de puissances convaincues de leur supériorité morale et militaire.
En somme, le défilé militaire chinois auquel ont participé Poutine et Kim Jong Un n’est pas seulement une provocation adressée à l’Occident. C’est le signe visible d’un basculement géopolitique majeur. L’Occident doit en tirer les leçons : la logique de domination et de confrontation appartient au passé. L’avenir sera multipolaire, et ceux qui refuseront d’admettre cette évidence risquent de se condamner à l’isolement et au déclin.
J.H.