Par Chokri Baccouche
Si elle est célébrée de manière quelque peu timide en Europe, la commémoration des 80 ans de la victoire des Alliés contre l’Allemagne nazie prend en revanche une dimension nationale de la plus haute importance dans la Fédération de Russie. Parée de ses plus beaux atours, la célèbre Place rouge à Moscou sera au cœur des festivités marquant la victoire du pays des tsars sur le régime hitlérien durant ce que les Russes appellent la «Grande Guerre patriotique». Elle accueillera, en cette matinée du vendredi 9 mai, le traditionnel défilé militaire en présence des dirigeants et des représentants de 29 pays. La liste des invités comprend notamment les présidents chinois Xi Jinping, brésilien Luiz Inacio Lula da Silva, vénézuélien Nicolas Maduro et égyptien Abdel Fattah el-Sissi. Les dirigeants de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie, de la Biélorussie, du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan, du Turkménistan, de l'Ouzbékistan, de l'Abkhazie, du Zimbabwe, du Congo, de Cuba, du Laos, de la Mongolie, de la Serbie, de la Slovaquie, de l'Ethiopie... ont également reçu des invitations pour assister au défilé moscovite. Les démonstrations de forces militaires et diplomatiques vont se côtoyer donc tout à l’heure offrant ainsi une opportunité pour le Kremlin de démontrer que la Russie est loin d’être isolée du reste du monde en raison de la guerre en Ukraine.
Les cérémonies commémoratives, on le sait, ont pour but d'honorer la mémoire de ceux qui ont combattu et sacrifié leur vie pour la liberté et l’intégrité de leur pays, de rendre hommage à toutes les victimes des guerres mais aussi de transmettre la mémoire des conflits du XXe siècle aux jeunes générations. Pour le cas d’espèce, la Seconde Guerre mondiale a été particulièrement destructrice. Elle a généré des dégâts matériels et humains incommensurables. Plus de 120 millions de personnes y ont trouvé en effet la mort, sans compter les terribles souffrances endurées par les populations civiles. Le bilan de ce conflit mondialisé est particulièrement lourd : des millions d'Européens se sont retrouvés sans domicile, sans vivres, survivant dans le plus grand dénuement. Les dégâts matériels et les pénuries ont accentué les peines des populations désœuvrées : le charbon manque, les vivres sont rationnées et certains sont morts de famine ou de froid après l'armistice. Tout le monde convient que la guerre est une chose affreuse, terrible et horrible. Mais force est de constater malheureusement que l’humanité n’a pas retenu les douloureuses leçons du passé comme le prouve d’ailleurs la multiplication des foyers de tension et des conflits qui font rage actuellement un peu partout à travers le monde.
Le bruit des bottes et les déflagrations des bombes continuent malheureusement à rythmer l’actualité sur la planète, via notamment la guerre civile en Ethiopie, le conflit ukrainien et le génocide sioniste à Gaza. Aussi paradoxal que cela puisse paraitre et selon une récente étude de l’Institut de recherche sur la paix d’Oslo (Prio), la violence dans le monde n’a jamais été aussi élevée depuis la fin de la guerre froide. Sur les 59 conflits dénombrés par les chercheurs du Prio durant la période s’étalant entre 1945 et 2023, près de la moitié (28) a eu lieu en Afrique. Le nombre de conflits étatiques sur le continent noir a «presque doublé» en dix ans, faisant plus de 330 000 décès au cours de ces trois dernières décennies. Viennent ensuite l’Asie, avec 17 conflits armés, le Moyen-Orient (10), l’Europe (3) et les Amériques (1), où le nombre de conflits non étatiques est le plus élevé.
Bref, on est tenté de dire qu’on aura beau chasser le naturel belliqueux des bipèdes, il finit toujours par revenir au galop. D’ailleurs, à la fin des conflits qui ont marqué l’histoire tourmentée de l’humanité, les dirigeants du monde se réunissent en fanfare et s’engagent à ne plus commettre les mêmes erreurs et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour éviter de telles tragédies. Mais dans la pratique, il n’en est rien bien sûr, car peu de temps après les armes reprennent du service de plus belle pour une raison ou une autre. Les récentes escarmouches militaires entre l’Inde et le Pakistan qui risquent de déboucher sur un conflit armé majeur entre ces deux puissances nucléaires confirment ce constat. Les tensions qui prévalent depuis quelques jours dans le sous-continent indien n’incitent pas du tout à l’optimisme et font peser une lourde menace sur la paix et la stabilité précaire non seulement dans la région mais également dans le monde. Ainsi va la vie sur la planète : un conflit cache toujours un autre et les cycles de violence se suivent, se ressemblent et reviennent comme un leitmotiv. A croire que les humains portent les germes de leur propre destruction. C’est malheureux de le constater, mais c’est vraiment le cas de le dire. Le triomphe du droit international et la résolution des différends entre les pays par la voie politique est la seule voie passante à même de permettre à l’humanité de sortir du dangereux cercle vicieux des guerres. La communauté international serait bien inspirée de cesser de tourner le dos à cette alternative qui constitue l’unique voie de salut dans un monde actuellement aux abois et sous haute tension…
C.B.