Par Hassan GHEDIRI
Après avoir constaté, de visu, les dommages causés par le rejet des eaux polluées, industrielles et urbaines, sur bon nombre de plages, Saïed ne tardera pas à prendre des décisions radicales…
En se rendant mercredi et jeudi derniers à Ksibet Madiouni dans le gouvernorat de Monastir puis à Menzel Temime et Kelibia dans le gouvernorat de Nabeul, le président de la république a vu comment les eaux usées se déversent directement dans la mer sans aucun respect des normes environnementales appliquées à la gestion des eaux polluées. Le chef de l’Etat, qui a épinglé la gestion défaillante des rejets des eaux usées par les stations d’épuration appartenant à l’Office national de l’assainissement (ONAS), a surtout critiqué sévèrement les organismes chargés de la surveillance, de la prévention et de la répression des attentes à l’environnement. Dans la vidéo de deux visites diffusée sur la page officielle Facebook de la présidence de la république, l’on peut voir Saïd insister, au moins à deux reprises, sur la nécessité de se passer des agences qui, selon lui, «n’assument pas leur responsabilité », estimant qu’il vaut mieux réorienter les ressources qui leur sont aujourd’hui attribuées pour financer des programmes de dépollution digne de ce nom. L’on peut d’ailleurs affirmer que l’ANPE et l’APAL, puisque c’est à elles que Saîed fait allusion, sont désormais dans le collimateur. Mais pourquoi justement ces deux « gendarmes de l’environnement » sont complèment désarmées face aux pollueurs ?
Adel Hentati, expert en environnement et ancien directeur à l’ANPE, rappelle qu’il y a une norme tunisienne qui fixe un niveau maximal de concentration des polluants dans l’eau déversée dans la mer. Cette norme, en l’occurrence la NT 106 002, a été adoptée depuis1989 et constitue, selon l’expert, la principale référence juridique employée par l’ANPE dans ses opérations de contrôle. Mais, là, il y a un problème : cette norme n’a jamais été respectée par l’ONAS. Car, toujours d’après cet ancien directeur de l’ANPE, les eaux usées évacuées par les stations d’épuration de l’Office de l’assainissement passent normalement par tout un processus de dépollution permettant d’éliminer toutes les substances organiques et chimiques nocives à l’environnement et à la santé publique. L’ONAS a toujours profité de son statut d’établissement public pour faire fi aux exigences de la norme NT 106002.
50 ans de nuisances
Pendant un peu plus de cinquante ans de service, le nombre de fois au cours desquelles l’ONAS se serait vu rappelé à l’ordre en matière de respect des normes environnementales ne compterait que sur les doigts d’une seule main. Non pas parce qu’il est un très bon élève dans ce chapitre réglementaire, mais à cause d’une anomalie structurelle fondamentale dans l’organigramme du ministère chargé de l’environnement. L’ONAS, qui assume la responsabilité directe dans la pollution des milieux urbains et marins et dans la dégradation alarmante de la qualité de vie dans le pays, est un établissement sous la tutelle du ministère chargé de l’Environnement comme le sont l’Agence nationale pour la protection de l’environnement (ANPE) et l’Agence de protection et d’aménagement du littoral (APAL). Ces deux derniers établissements ont pour principale mission de veiller sur la protection de l’environnement et de sanctionner tous les contrevenants. Cela dit, l’ONAS a tendance à jouir d’une certaine impunité grâce, justement, à la tutelle du ministère de l’environnement qui se positionne comme juge et partie. Résultat : l’ANPE tout comme l’APAL, auxquelles sont normalement attribuées des prérogatives de police de l’environnement, ferment délibérément les yeux sur les crimes commis par l’ONAS.
Ainsi, dans cette même perspective, Kaïs Saïed pourrait enclencher une démarche de réorganisation en profondeur du dispositif national de contrôle environnemental pour rompre définitivement avec le schéma actuel où les organes de contrôle et les établissements pollueurs relèvent d’une même tutelle ministérielle.
Une réforme institutionnelle visant à détacher l’ANPE et l’APAL de l’autorité du ministère de l’Environnement pour les placer sous une structure indépendante, telle que par exemple la présidence de la république ou encore à un futur haut conseil national chargé de l’environnement, permettrait de mettre fin à cette confusion des rôles et de garantir une réelle autonomie d’action. Pour aboutir aux objectifs recherchés, une telle restructuration devra cependant s’accompagner d’un renforcement des moyens humains, techniques et juridiques de ces agences, tout en adoptant un dispositif drastique et contraignant de suivi et de sanction à l’égard des contrevenants, y compris les institutions publiques comme l’ONAS.
H.G.