Par Chokri Baccouche
Décidément, Dame nature aime jouer avec les nerfs des bipèdes. Elle prend un malin plaisir à multiplier les épreuves et les obstacles. Après la sécheresse qui a sévi ces dernières années, voilà qu’elle nous envoie une cavalerie ailée particulièrement vorace, juste pour mettre un peu plus d’ambiance dans notre quotidien assez pointu, rendu difficile par la cherté de la vie. On l’aura certainement deviné, il s’agit des criquets pèlerins qui ont fait leur apparition dans de nombreux pays d’Afrique du nord dont la Tunisie, menaçant les cultures et les pâturages. Ah la poisse ! L’amélioration sensible de la pluviométrie cette année n’a pas été porteuse que de bonnes nouvelles. Si elle a rendu heureux les gens de la terre, elle semble avoir paradoxalement balisé le terrain à la prolifération de ces insectes nuisibles qui ont la particularité de se reproduire par millions à vue d’œil. Pour les profanes, il est bon et instructif de rappeler qu’un seul essaim peut couvrir plusieurs centaines de kilomètres carrés. Un kilomètre carré d’essaim peut contenir, tenez-vous bien, jusqu’à 80 millions d’adultes, capables de dévorer en une seule journée la même quantité de nourriture que 35 mille personnes. Pas besoin d’un dessin pour imaginer, par conséquent, le volume des dégâts incommensurables que peuvent causer plusieurs dizaines d’essaims à la céréaliculture, l’arboriculture, le couvert végétal et tout ce qui pousse et sort de la terre. Bref, ces petites bestioles ne laissent rien sur leur passage, pas même la moindre brindille d’herbe. Après coup, au revoir et merci. A la prochaine les zozos et sans rancune.
La nouvelle est vraiment flippante. Déjà qu’on a du mal à nourrir correctement nos 12 millions de consommateurs, l’invasion possible de ces insectes ne sera pas de la tarte et risque de nous rendre la vie encore plus dure. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) vient d’ailleurs de lancer un appel urgent aux pays d’Afrique du Nord-Ouest pour renforcer la surveillance et mettre en œuvre des mesures de lutte précoce contre les criquets pèlerins. L’alerte est à prendre bien évidemment très au sérieux au regard des enjeux qu’implique de fait ce danger volant qui menace notre garde-manger et cherche à chiper notre pitance.
Aux dernières nouvelles, des petits groupes de criquets pèlerins ont été aperçus à Dehiba dans le gouvernorat de Tataouine. ll s’agirait, selon toute vraisemblance, d’une brigade de quelques milliers de soldats de l’infanterie envoyés en éclaireurs pour prospecter les potentialités de la région. Le gros de la troupe se trouverait actuellement au Sahel africain et il n’attend plus que des vents favorables pour migrer vers le nord. Pour faire face à cette menace et parer à tout imprévu, le ministère de l’Agriculture, des ressources hydrauliques et de la pêche, croit-on savoir, est déjà sur le pied de guerre. Des équipes techniques ont été en effet dépêchées sur place pour suivre les mouvements de ces insectes ravageurs et intervenir à temps afin de sauver les meubles avant qu’il ne soit trop tard.
La lutte contre ce fléau exige une réactivité et une efficacité maximales. L’intervention rapide des autorités compétentes est encourageante bien évidemment mais la partie n’est pas encore gagnée. Une veille de tous les instants, une vigilance permanente et une mobilisation de tous les acteurs, autorités locales et population, sont plus que nécessaires pour protéger l’agriculture et l’environnement du sud tunisien. La voie de salut pour gagner la guerre contre ces insectes nuisibles passe par la conjugaison de tous les efforts et une action rapide et efficace pour étouffer dans l’œuf les larves dont la durée de développement peut s’étendre de deux à six mois.
Les caprices de Dame nature nous valent finalement bien des déboires. Après une longue période de sécheresse qui a duré environ sept années successives, on a eu droit cette année et Dieu merci à une saison relativement pluvieuse. Ce court intermède rafraîchissant qui va nous permettre d’étancher notre soif a cédé la place malheureusement à une autre dure épreuve ayant pour nom scientifique Schistocerca gregaria, ou criquet pèlerin, une espèce qui fait des ravages, bon an, mal an dans de nombreuses régions du globe et plus particulièrement en Afrique et en Asie. Une guerre de trop ? Sans doute ! Mais une guerre qui nous a été imposée et qu’on doit immanquablement remporter par tous les moyens et à n’importe quel prix. Il y va de notre sécurité alimentaire à un moment où le pays se passerait volontiers d’un nouveau tracas qui viendra s’ajouter au magma d’urgences économico-sociales qu’il a déjà sur les bras…
C.B.