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Tunisie : La réforme de l’éducation, la grande muette - Par Soufiane Ben Farhat

L’annonce des résultats du bac, à l’instar de la rentrée scolaire et universitaire, est une grande communion nationale. Elle soude les familles, les groupes et les individus, par-delà les résultats somme toute temporaires. Parce qu’en matière d’éducation, tant qu’il y a une session de rattrapage, ce n’est que partie remise.

Les résultats de la session principale du baccalauréat, annoncés hier, constituent cependant un faisceau d’indices massif du système éducatif. Et ceux-ci sont encore affligeants. D’abord, le taux de réussite est toujours faible. Jusqu’ici, il n’a pas encore été officiellement communiqué, bien que démentant des rumeurs à ce propos, là ministre de l’Education l’ait qualifié d’”honorable”. En tout état de cause, ce taux ne sera pas exceptionnel et le baccalauréat contribue à sa manière, hélas à une autre tare caractéristique de notre système, l’abandon scolaire.

En effet, paradoxalement, le système éducatif tunisien se caractérise par un taux de scolarisation élevé, avoisinant les 100% pour les enfants de six ans filles comme garçons, et un déficit qualitatif notoire. Et c’est là qu’intervient le phénomène endémique de l’abandon scolaire. Une dizaine d’années durant, après 2011, le nombre d’enfants abandonnant la scolarité a été entre 110 mille et 120 mille par an. Soit plus d’un million d’enfants en rupture de ban scolaire en dix ans.

Une grande multitude rejetée et hors toute statistique

Il s’agit bien d’un phénomène massif, encore opérationnel et aux effets sociaux délétères et pervers. L’abandon scolaire est en effet socialement matriciel. S’agissant d’enfants et d’adolescents, ils participent de la recomposition du tissu social, essentiellement dans les dimensions de l’exclusion et des laissés-pour-compte. L’ascenseur social, autrefois effectif grâce à l’enseignement et autorisant une mobilité sociale plutôt heureuse que malheureuse, est aujourd’hui en panne sèche. Bien pis, son absence est contre-productive. 

Un grand nombre des exclus du système éducatif alimentent tous les réseaux nocifs et parallèles, de la pauvreté galopante, de la contrebande, de la violence, du crime organisé, des prisons et des pénitenciers, de la drogue, de l’émigration clandestine et j’en passe. Seulement, il n’y a guère de données statistiques et d’études exhaustives à ce propos. Même la recherche universitaire et sociologique est aveugle sur ce chapitre. Au lieu de prendre le phénomène à bras-le-corps, la société s’en détourne. Et laisse faire. Les manifestations désolantes de ce rejet sont pourtant on ne peut plus visibles dans nos villes, dans nos cités, sur les bords des routes et aux abords des feux de croisement. La pauvreté et l'ilotisme des enfants et des jeunes y sont frappants. Certains types de comportements anachroniques également.

Déséquilibres régionaux

Étayés par gouvernorat, ces résultats se recoupent en grande partie avec la carte des déséquilibres régionaux qui affectent notre pays de longue date. Les résultats annoncés ce dimanche 23 juillet consacrent la position de leader du gouvernorat de Sfax avec un taux de réussite au baccalauréat de 56,05% pour Sfax 1 et 51,31% pour Sfax 2. Le gouvernorat de Sousse occupe le deuxième rang avec un taux de 50,76% talonné par ceux de l’Ariana, Monastir, Mahdia Nabeul et Ben Arous. Le gouvernorat de Kasserine se trouve au bas du tableau avec un taux de 23,65% devancé par celui de Gafsa avec 25,38%.

Le succès comme l’échec ne sont pas une fatalité. Mais les indices de pauvreté, de sous-utilisation des ressources, de couverture scolaire, d’assignation du cadre éducatif et administratif adéquat, d’éloignement des écoles et lycées des lieux d’habitation et d'accès à l’infrastructure sociale d’accompagnement sont, hélas, déterministes. Combien de nos écoles et lycées dans les régions intérieures sont dépourvus d’eau, d’électricité, de matériel pédagogique, de moyens de transport, de maîtres d’écoles et de professeurs ! C’est le lot de la majeure partie des régions défavorisées et non côtières. S’il y a un échec en la matière, c’est celui de toute une société et d’un système éducatif global. Et le bout du tunnel ne semble guère pointer son nez. Parce que, tout simplement, on fait du surplace.

L'Arlésienne

Dans Les Lettres de mon moulin d’Alphonse Daudet, il y a une nouvelle intitulée L’Arlésienne. Il s’agit d’une arlésienne qui qui ne se présenta point le jour de son mariage. Son fiancé s’est abîmé dans une longue et inutile attente. L’Arlésienne symbolise cette personne qu’on attend et qu’on espère toujours, qui ne vient guère et qu’on ne voit jamais. Ainsi en est-il de notre réforme éducative. Tout le monde en parle, on l’attend toujours et elle ne vient jamais.

Pourtant, il y a bien eu une consultation nationale sur la réforme de l'Éducation à laquelle ont pris part près de 600 mille Tunisiens. On en attend toujours la mise en exécution effective.

Théoriquement, elle vient à point nommé en cette ère universelle de révolutions cognitive, technologique, numérique et comportementale. Outre l’inscription de plain-pied dans la logique de la seconde moitié du XXIe siècle, cette réforme permettra de colmater les brèches béantes et de redorer son blason au système éducatif tunisien jadis performant et exemplaire à l’échelle mondiale. 

Bien pis, depuis 2011, onze ministres se sont succédé à la tête de ce ministère sans qu’aucune réforme n’y soit diligentée. Tout au plus des promesses. Et, le plus souvent, les ministres se sont empêtrés dans d’interminables bras de fer avec les syndicats. Et les responsabilités sont partagées à ce propos. D’un côté, l’administration avec son penchant inné à tout accaparer, de l’autre un corporatisme de plus en plus oiseux et déprimant.

Le grand perdant dans tout ça, c’est le Tunisien moyen. Pressuré par les vicissitudes de la vie de plus en plus dure, exsangue et à bout de souffle, il éprouve désormais la terrible angoisse du lendemain pour sa famille et ses enfants. Et, de surcroît, consultation nationale ou pas, il a l’impression de n’avoir point droit au chapitre. Et de ne pas avoir droit de cité, ou plutôt du droit à la Cité, celle-ci résumant les attributs de la vie digne.

En un mot, la réforme de l’Éducation sous nos cieux, est la grande muette.

S.B.F.

 

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