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La chronique de Soufiane Ben Farhat : Tunisie- une arche de Noé nommée corruption

La chronique de Soufiane Ben Farhat

Il faut se fier à l’évidence. Les affaires de corruption, de plus en plus nombreuses devant les tribunaux, attestent d’un phénomène patent. Tout au long de la décennie dite noire qui a succédé à la révolution de 2011, la corruption s’est, d’une certaine manière, généralisée.
Avant, elle était l’apanage du cercle fermé et restreint de quelques familles liées au sérail. Depuis, elle s’est étendue à un large éventail de composantes politiques, institutionnelles, partisanes, associatives, médiatiques et bien d’autres sphères. Avant c’était une affaire de pouvoir politique et de familles alliées ou apparentées. Depuis, elle s’est investie partout, par-delà les clivages politiques et idéologiques.


Témoins, les personnes de tout bord et de divers horizons poursuivies pour corruption. Elles appartiennent, une décennie durant, tant au pouvoir qu’à l’opposition, avec leurs différents éventails de droite, de gauche et du centre. Partis politiques, syndicats, associations et instances de lutte supposée contre la corruption y sont mêlés d’une manière ou d’une autre. Sans parler de la petite corruption qui gangrène une bonne partie de l’administration et du service public, toutes instances confondues.
La révolution tunisienne tient lieu de cas d’école en la matière. Un véritable manuel rétrospectif de ce qu’il ne faut pas faire. Fondée initialement autour des valeurs de dignité et de liberté, elle a tourné casaque. “Enrichissez-vous” clamait Guizot, le fameux homme politique français du 19e siècle ; “corrompez-vous” s’écrièrent à leur tour ceux qui tinrent le haut du pavé sous nos cieux après janvier 2011.

La corporation des véreux
Certes, dans tout système, il y a un noyau dur, un centre et des périphéries. Ici, c’est le parti Ennahdha qui joué le rôle du parrain des familles mafieuses. Et il a prospéré, engendrant enfants légitimes, enfants naturels et rejetons.
C'est dire que les partis politiques -la partitocratie chère au jargon politique italien- ont été le véritable catalyseur de ce bourbier gigantesque. Et, dans leur sillage, les élus, les parlementaires, les responsables administratifs et gouvernementaux, les instances de régulation et de contrôle, les fondations, les associations entre autres caritatives, la bureaucratie des entreprises publiques, les syndicats, et foule d’autres dignités et responsabilités.
C’est dire aussi que la pieuvre qui s’est installée au fur et à mesure a débordé bien au-delà des clivages traditionnels entre la droite et la gauche, les réactionnaires et les progressistes, le pouvoir et l’opposition. En définitive, la corruption les a érigés tous tant qu’ils sont en pouvoir confiné dans les zones grises du non-dit et de l’acceptation tacite de la division de la sale besogne.
Du coup, une corporation de véreux s’est installée et a investi une bonne partie de la place politique et des instances et relais de la chose publique.
En fait, la corruption fut à l’œuvre également durant l’épidémie du Covid 19, dont furent victimes plus de vingt-cinq mille Tunisiens en douze mois. Les vaccins ni les soins n’avaient été administrés suffisamment et au bon moment. Les marchands de la mort sont passés par là. Bien pis, des affaires de corruption avaient porté notamment sur les bavettes et les stocks médicamenteux. Alors que les victimes tombaient, atteignant les pics de plus de trois-cents morts par jour.

Je t’aime moi non-plus
Quelque part, tout ce beau monde se croyait éternel, inamovible, parti pour durer indéfiniment. Ils étaient loin de se douter qu’un jour ou l’autre il y aurait un renversement de vapeur, un coup de pied dans la fourmilière. Ce qui advint le 25 juillet 2021. Paradoxalement, une partie de la corporation des véreux était initialement acquise tant à l’élection du Président Kais Saïed qu’au 25 juillet proprement dit. Je t’aime moi non-plus en quelque sorte. L’histoire a de ces grimaces !
Aujourd’hui, l’étau judiciaire se resserre autour de la corporation des véreux. Parce que, comme pour certains passages à niveaux, un train en cache un autre. Imbriquées, les affaires de corruption s’interpellent et se suivent. Le dénouement ne semble pas être pour demain, tant les dégâts, les réseaux et les compromissions sont immenses.
Certes, la corruption a de fâcheux antécédents sous nos cieux, notamment au cours de la seconde moitié du 19e siècle. N’empêche, tout porte à croire que dans l’avenir, les aspirants corrompus y réfléchiront à deux fois avant le passage à l’acte. Osons l’espérer. En attendant, la poussée anti-corruption actuelle devra forcément aboutir concrètement. Non pas seulement via les tribunaux et les sanctions légitimes, mais surtout à partir d’un point de non-retour qui permet d’assurer le plus jamais ça.
Kant définissait l’État comme une “communauté de volontés impures sous une règle commune”. Encore faut-il qu’il y ait une règle commune.


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