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JCC - « Katanga, la danse des scorpions », de Dani Kouyaté : Quand le pouvoir devient poison

Par Imen ABDERRAHMANI

Pour gouverner, le bain de sang est-il inévitable ? Que devient la volonté des peuples dans la course au pouvoir ? Ces interrogations traversent « Katanga, la danse des scorpions » de Dani Kouyaté, film Burkinabè, projeté dans la compétition officielle des longs-métrages de fiction.


Œuvre captivante tournée en noir et blanc, « Katanga, la danse des scorpions » puise sa force dans « Macbeth » de Shakespeare, tout en enrichissant le langage cinématographique d’une forte dimension théâtrale. D’une durée de près de deux heures, le film séduit autant par sa rigueur formelle que par la profondeur de sa réflexion politique.

Le choix du noir et blanc renvoie aux origines du cinéma et inscrit le récit dans une temporalité indéterminée. Pourtant, des éléments contemporains comme les antennes paraboliques, les kalachnikovs ou encore les motos rappellent que cette histoire, bien que symbolique, appartient aussi au présent.

Il faut aussi dire qu’adapter Shakespeare au cinéma est un pari audacieux. L’œuvre a été tant revisitée. Mais ici, loin d’un simple exercice de style, le texte est profondément enraciné dans le contexte africain.

Cette fois-ci, Shakespeare parle le mooré, langue la plus parlée au Burkina Faso, et ses personnages sont habillés de costumes traditionnels et tout comme les gestes et les objets du pouvoir jusqu’au trône obéissent aux codes de la tradition locale, à tel point qu’on oublie l’origine shakespearienne du récit.

Sang et trahisons

Pour bien situer son histoire, Dani Kouyaté a créé son propre royaume, le royaume fictif de Ganz. Un village qui peut exister ici et là, tout au long du territoire africain. Et comme c’est toujours le cas, en Afrique, tout commence par un complot qui échoue ou qui réussit. Cette fois-ci, il s’agit d’un complot avorté qui mène le roi à nommer son cousin Katanga chef des armées.

Celui-ci désigne à son tour Bougum, son ami fidèle et cousin, comme adjoint. Inquiets face à cette nouvelle responsabilité, les deux hommes consultent un devin, qui annonce que Katanga deviendra roi et que le fils de Bougum lui succédera.

D’abord réticent, Katanga finit par céder aux exhortations de son épouse, Pougnéré, qui l’incite à assassiner le roi venu célébrer officiellement sa nomination. Une fois le trône conquis, Katanga ouvre une ère de violence : il élimine ses opposants, y compris Bougum, témoin du meurtre royal. Rongé par la culpabilité et obsédé par le pouvoir, il sombre dans la paranoïa et la brutalité.

À travers cette trajectoire, Dani Kouyaté pose une question centrale : les coups d’État sont-ils une fatalité dans l’accès au pouvoir ? Pourquoi les voies pacifiques et démocratiques, fondées sur la volonté populaire peinent-elles encore à s’imposer dans de nombreux pays africains ?

Personnage principal de ce conte africain, Katanga incarne cet homme autrefois droit et loyal, détruit par l’ambition, incapable de percevoir sa chute alors que tous la voient venir. Des figures semblables, l’histoire africaine même contemporaine en regorge ; il suffit d’y plonger pour en retrouver les innombrables traces.

Le film interroge également sans cesse la trahison et la fragilité du pouvoir. Véritable fable politique, « Katanga, la danse des scorpions » fait du langage un champ de bataille. La parole y devient tour à tour une arme pour tuer, un outil de manipulation, une flatterie intéressée, un piège tendu… mais aussi levier de révolte.

La touche de Dani Kouyaté se manifeste pleinement à travers le personnage de Soubila, qu’il a créé et fait évoluer au fil des événements jusqu’à lui conférer une place essentielle. D’abord réticente face à la prophétie, elle se retrouve, à la fin du film, à la tête d’une mobilisation féminine visant à mettre un terme au règne du tyran,   Katanga, ainsi qualifié par ses concitoyens.

Dani Kouyaté choisit de s’éloigner de la fin shakespearienne pour proposer une conclusion symbolique et radicale. Acculé, Katanga met fin à ses jours par l’épée, à la manière des Hara-kiri.
Œuvre puissante, à la fois intemporelle et profondément actuelle, « Katanga, la danse des scorpions » mérite le détour.

I.A.

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