Depuis 2011, on n’a eu de cesse de nous rabattre les oreilles avec ce mot “al-islahate, al-islahate”. Mais il n’en fut rien. Simples litanies qui confinent aux jérémiades. A telle enseigne que la réforme est devenue, à l’instar de l'Arlésienne d'Alphonse Daudet, celle dont on parle toujours mais qu’on ne voit jamais.
Le temps est une donnée essentielle en politique aussi. Si on ne s’y investit pas, on le passe à bayer aux corneilles. Sous nos cieux, le gaspillage du temps est démocratiquement partagé. Qu’il s’agisse du pouvoir ou de l’opposition, la devise semble être “doucement le matin pas trop vite le soir”.
Côté pouvoir, les quatorze gouvernements qu’on a eu depuis la révolution de 2011 ont tous eu un mot magique à la bouche : les réformes. On n’a eu de cesse de nous rabattre les oreilles avec ce mot “al-islahate, al-islahate”. Mais il n’en fut rien. Simples litanies qui confinent aux jérémiades. A telle enseigne que la réforme est devenue, à l’instar de l'Arlésienne d'Alphonse Daudet, celle dont on parle toujours mais qu’on ne voit jamais.
Bien évidemment, au cœur du dispositif gouvernemental il y a eu jusqu’ici dans l’écrasante majorité des cas, des nuls avérés adossés à une administration défaillante.
Côté responsables, ce sont les calculs de boutiquiers qui l’emportent en fin de compte. Chaque gouvernement a débarqué -et a été débarqué- avec son cortège de ministres et de secrétaires d’Etat. On en a eu plus de 450 en moins de 13 ans. Juste pour mesurer l’étendue de la bureaucratie politique, il faut relever que le Président Bourguiba avait cumulé 137 ministres seulement en 31 ans de pouvoir.
Priés de ne pas partir avant d’être arrivés
C’est une boutade acerbe de Clémenceau qui disait : “Messieurs les employés sont priés de ne pas partir avant d’être arrivés”. En fait, nous avons hérité de l’époque coloniale d’une administration lourde, paperassière, truffée de caciques et de flatteurs patentés. Ajoutons-y les effets pervers d’une révolution subite qui a enfanté le plus clair du temps des revanchards aigris grimés en hommes politiques. Chapeautés par le parti Ennahdha et ses satellites, ils ont sévi une décennie durant en toute impunité. Parce que ceux que les laudateurs de l’administration ont flattés sont généralement les politicards de la misère de ces jours. Personnages falots et effacés, ils ont été propulsés à la tête de l’administration suite à des arrangements politiques louches et malintentionnés.
Résultat : les réformes de structures sont inexistantes, l’économie a été pillée et ruinée, les ressources naturelles ont été dilapidées. En un mot, le passage de la cohorte des responsables partisans de tout poil a été catastrophique. Leurs émules sont encore là, tapis dans les recoins de l’administration qui grouille et grenouille.
Et c’est là où le bât blesse. L’actuel gouvernement bénéficie certes d’une amélioration inattendue des données macroéconomiques au cours des derniers mois, due essentiellement aux rentrées en devises et aux transferts des Tunisiens résidant à l’étranger. Mais la situation demeure encore largement précaire. Une large palette des ressources manufacturières demeure sous-utilisée, le chômage endémique persiste et la balance commerciale est encore largement déficitaire. Du coup, le pouvoir d’achat des citoyens s’en ressent, notamment au niveau des produits vitaux et de première nécessité.
Dispersion tous azimuts
Pareil bilan devrait logiquement faire l’affaire de l’opposition, ou des oppositions. C’est de bonne guerre dira-t-on, d’autant plus qu’on est en pleine année électorale. La présidentielle se profile dans quelques mois et l’on se bouscule déjà au portillon des candidats potentiels et avérés.
Seulement, la majeure partie des opposants d’aujourd’hui est constituée par les gouvernants d’hier. Ceux-là mêmes que le président Kaïs Saïed avait écartés le 25 juillet 2021 en procédant au gel du Parlement et au limogeage du gouvernement.
Et ces gens-là ont précisément tendance à se chamailler et à se tirer dans les jambes pour toute portion, si infime soit-elle, du pouvoir. C’est une question de malformation congénitale. Pour eux, le pouvoir est un butin dont il faut profiter au maximum. Témoin, le pillage systématique du pays et le bradage de ses ressources et de sa souveraineté durant la décennie noire 2011-2021. Aujourd’hui encore, on se chamaille pour la perspective, fort hypothétique par ailleurs, de la reconquête du pouvoir. Une manière de vendre la peau de l’ours avant de l’avoir attrapé en quelque sorte. La confrérie des gens pressés de reconquérir le pouvoir se double de la confrérie des gens dispersés en somme.
Certes, il est toujours permis de rêver et il n’y a guère mieux que la concurrence et la pluralité des options et des choix pour stimuler la vie politique. Seulement, pour être efficace, il faut s’adosser à un programme clair et porteur, une direction légitime et un examen approfondi du parcours déjà entrepris.
Or, les partis et les leaders de la décennie noire sont loin d’avoir procédé à une autocritique. A les en croire, comme pour Pangloss, tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes possible. Pourtant, le simple examen de leur image tant dépréciée dans l’opinion suffirait pour mesurer l’ampleur de leur propre naufrage. Ceci sans parler du déni catégorique de leurs méfaits à l'échelle économique et sociale.
Le Tunisien, lui, tourne le dos à ce monde dont l'auto-glorification est une forme obtuse de la persistance dans les choix désastreux. Pour l’instant, il y a ces maigres feuilletons ramadanesques qui font eux aussi écran à la dure réalité. Mais le Tunisien ressemble en fait à nos oueds qui, après avoir été longuement à sec, débordent de tous côtés emportant tout sur leur passage. Ne dit-on pas que les rivières coulent et que les oueds roulent ?
S.B.F