Par Chokri Baccouche
La nouvelle a de quoi surprendre et suscite beaucoup de questions : l’ambassadeur de l’Union européenne, M. Giuseppe Perroni, a été convoqué, dans l’après-midi de lundi dernier, au palais de Carthage où il s’est vu signifier une protestation officielle particulièrement ferme.
Selon la présidence, cette convocation intervient à la suite de «violations des règles du travail diplomatique» et de démarches menées en dehors des cadres institutionnels et des voies officielles reconnues par les usages diplomatiques internationaux. Le chef de l’État a rappelé que l’ambassadeur, en tant que représentant accrédité de l’Union européenne auprès de l’État tunisien et de ses institutions, est tenu de respecter strictement ces procédures.
La présidence n’a pas précisé la nature exacte des agissements reprochés, mais a insisté sur le fait que toute relation diplomatique doit s’inscrire dans «un respect mutuel et une coordination transparente avec les autorités officielles».
C’est pour la première fois dans l’histoire des relations diplomatiques entre Tunis et Bruxelles qu’un président tunisien prend l’initiative de convoquer lui-même l’ambassadeur de l’Union européenne pour lui faire part d’un reproche ou un manquement aux règles de bienséance diplomatique.
Cette initiative est d’autant plus surprenante que pareille mission relève en principe des prérogatives du ministre des Affaires étrangères. Mais qu’a fait au juste M. Perroni pour mériter une telle « remontrance » qui lui a été transmise directement par le président de la République en personne ?
Si le palais de Carthage se fait chiche à ce propos se contentant de donner des justifications extrêmement vagues, certains événements survenus récemment peuvent en revanche donner des éléments d’explication logiques, susceptibles de lever le voile sur ce « mystère ». La convocation de l’ambassadeur de l’Union européenne intervient, en effet, au lendemain de la rencontre qui a eu lieu le 24 novembre 2025 entre Guiseppe Perroni et le secrétaire général de l’UGTT, Noureddine Tabboubi.
Les relations entre le palais de Carthage et la Centrale syndicale étant loin d’être au beau fixe, on peut supposer que la présidence de la République ait mal gobé pareille entrevue qui n’est pas sans susciter d’ailleurs des interrogations objectives. De quoi ont parlé Giuseppe Perroni et Noureddine Tabboubi ? Les deux hommes ne se sont pas contentés, très certainement, de palabrer sur la pluie et le beau temps.
On peut supposer que la situation interne de la Tunisie ait figuré parmi les principaux sujets de conversation évoqués, ce qui est de nature à provoquer bien évidemment le courroux de la Présidence qui considère ces brins de causette malvenus comme une immixtion inacceptable dans les affaires intérieures de la Tunisie.
Il faut dire que les ambassadeurs accrédités en Tunisie qui prennent toute leur aise à se déplacer partout dans le pays sans respecter les normes diplomatiques, on en a connu des tas chez nous, particulièrement durant la dernière décennie noire.
Tout au long de cette période tumultueuse, nombre de chefs de missions diplomatiques en poste dans nos murs se croyaient en effet en pays conquis, s’arrogeant même le droit de faire des remarques désobligeantes et de fourrer leur nez dans des affaires qui ne les concernent pas.
Ces pratiques peu orthodoxes et inacceptables constituent en fait une violation des exigences de la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques qui stipule clairement « le devoir des diplomates de respecter les lois du pays auprès duquel ils sont accrédités et de ne pas s’immiscer dans ses affaires intérieures ».
De fil en aiguille, on se demande si la rencontre entre le chef de la diplomatie européenne et le secrétaire général de l’UGTT n’a pas été motivée également par les dernières déclarations, le 4 novembre, du ministre tunisien des Affaires étrangères.
Ce jour-là, rappelons-le, Mohamed Ali Nafti a affirmé devant la Commission parlementaire que l’Union européenne demeure le principal partenaire commercial de la Tunisie tout en précisant que le ministère travaille, en concertation avec d’autres départements, à la révision de l’accord d’association avec l’UE, afin de le mettre en phase avec les nouvelles priorités économiques du pays et d’assurer une meilleure intégration dans l’espace européen.
Un tel redéploiement envisagé par les autorités tunisiennes n’est certainement pas vécu de gaité de cœur du côté de Bruxelles. Il se pourrait même que la chose soit devenue une source de préoccupations pour les Européens qui cherchent à trouver des « explications » à ce changement brutal d’orientation opéré par l’un de ses partenaires les plus en vue du sud de la Méditerranée …
C.B.

