Il n’y a que la vérité qui blesse. Et la vérité au sujet de la propreté, c’est que notre pays est très sale. Ceux qui habitent la capitale affirmeront sans détour que c’était plus propre par le passé mais l’état actuel de désolation n’est pas seulement l’apanage des quartiers de Tunis et ses banlieues. Partout, dans quasiment toutes les villes, le constat est le même avec d’un côté les services de propreté qui semblent avoir disparu de la circulation mais qui sont quand même montrés du doigt, et de l’autre côté des riverains qui se plaignent.
Et dans l’absolu rien ne change. Nous vivons une dégradation sans précédent de la propreté dans notre pays et le grand danger c’est cette étrange attitude d’accepter la situation et cohabiter avec la saleté.
A voir la passivité avec laquelle beaucoup de gens réagissent face à l’amoncellement des déchets dans tous les coins de rue l’on se résigne à l’idée que la propreté urbaine n’est plus une condition essentielle de santé publique et du bien-être citoyen mais elle est devenue un luxe de moins en moins inaccessible aux Tunisiens.
Le vrai problème de la propreté, c’est le vivre-ensemble. Résultat des incivilités, le phénomène est le reflet d’un vivre-ensemble qui ne fonctionne pas. Si vous êtes à l’extérieur et que vous ne vous comportez pas comme chez vous, cela signifie tout simplement que vous ne respectez pas le droit des autres à vivre dans un milieu propre. Normalement, l’on ne peut pas obliger les gens à être propres uniquement par la répression.
Il faut d’abord agir pour leur faire prendre conscience que la propreté est essentielle tant pour eux que pour les autres. Changer la conscience collective tend toutefois à être un processus long et très complexe parce qu’il nécessite une transformation radicale des habitudes et des normes partagées par les citoyens. Bref, c’est une action qui s’étale sur des générations.
Sauf qu’au train où vont actuellement les choses, miser sur un changement des mentalités pour rendre la Tunisie plus propre serait complètement ridicule. Les ordures qui puent et qui nous étouffent ne peuvent pas être une fatalité, et c’est aux pouvoirs publics d’agir avec la plus grande fermeté avec des mesures radicales pour se débarrasser une fois pour toute de cette saleté et pour responsabiliser les gens.
Le problème des déchets en Tunisie soulève, en effet, un grand paradoxe, car en face d’un mécontentement général, tout le monde manque à ses devoirs. Il n’y a point une seule partie qui endosse, seule, la responsabilité de la propreté parce que l’hygiène est la responsabilité de tout un chacun. Il relève cependant des prérogatives et des obligations des pouvoirs publics, et donc de l’Etat, de garantir le respect des règles et d’infliger les sanctions dissuasives à l’encontre de ceux qui les transgressent.
Il existe en Tunisie un arsenal juridique dissuasif qui encadre la gestion et l’élimination des déchets mais qui n’est pas en mesure de mettre fin aux atteintes. Dans les villes, c’est l’autorité locale, en l’occurrence la mairie, qui est censée remplir cette mission.
Les maires se sont toutefois vues déposséder de leur pouvoir par la décision présidentielle de dissoudre les conseils municipaux. Aucune alternative n’a été adaptée, ni des ressources déployées dans la foulée pour combler ces insuffisances.
La mauvaise gestion du problème des ordures fait honte et reflète une profonde crise du vivre-ensemble qui, selon certains pessimistes, semble irréversible et irréparable.
Cette banalisation flagrante de la saleté n’est en effet que le symptôme visible d’un dysfonctionnement plus profond de la société tunisienne. L’on est malheureusement en face d’un laisser-aller généralisé qui traduit une rupture silencieuse entre les citoyens et les institutions.
H.G.

