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Editorial : L’Europe reléguée au second rôle - Par Jalel HAMROUNI

L’hypothèse d’un rapprochement stratégique entre Washington et Moscou autour d’un éventuel plan pour l’Ukraine agit comme un électrochoc pour un continent européen qui, depuis le début de la guerre, peine à trouver sa place. Si ce scénario venait à se confirmer, il mettrait en lumière une réalité que beaucoup refusaient encore d’admettre : l’Europe n’est plus un acteur décisif dans la résolution des conflits qui se déroulent pourtant à ses frontières.

Elle parle, condamne, sanctionne, mais ne pèse plus. Les discussions essentielles se déroulent ailleurs, sans elle, au rythme imposé par les grandes puissances qui façonnent un ordre mondial en pleine recomposition.

Depuis 2022, les capitales européennes affichent une unité de façade, multipliant les déclarations de fermeté face à Moscou. Mais cette posture masque des divergences profondes et une incapacité structurelle à s’imposer comme force de médiation ou de dissuasion. L’Union européenne, fragmentée, dépendante des États-Unis pour sa sécurité et incapable de définir une vision stratégique autonome, assiste impuissante aux évolutions du conflit.

À Washington, les priorités changent au gré des cycles politiques ; à Moscou, la résilience russe et l’adaptation à la pression occidentale ont déjoué de nombreuses prévisions initiales. Pendant ce temps, l’Europe se contente de subir les conséquences économiques, énergétiques et sécuritaires d’une guerre qu’elle ne contrôle pas.

La faiblesse européenne apparaît d’autant plus cruellement que la Russie, malgré les sanctions et l’isolement diplomatique relatif, demeure un acteur incontournable. On peut condamner la guerre comme on le souhaite – et il faut le faire –, mais il serait naïf de penser que Moscou peut être effacé du jeu international par des décisions administratives de Bruxelles ou par des paquets successifs de sanctions.

L’histoire, la géographie, la puissance militaire et les ressources naturelles font de la Russie un pilier de l’équilibre mondial, qu’on le veuille ou non. Toute solution sérieuse à ce conflit, qu’elle soit négociée ou imposée, devra tôt ou tard intégrer la dimension russe. Ignorer cette réalité, c’est s’enfermer dans une posture morale stérile.

C’est ici que le Vieux Continent se trouve particulièrement vulnérable. En s’alignant presque mécaniquement sur Washington, l’Europe s’est privée de toute marge d’autonomie. Elle ne parle pas d’une seule voix, hésite entre fermeté et prudence, et se laisse prendre au piège d’une stratégie où elle assume le coût sans maîtriser la direction.

Aujourd’hui, si Washington et Moscou venaient à explorer des voies diplomatiques directes, même limitées, l’Europe n’aurait guère de poids pour influencer le contenu des discussions. Elle ne pourrait qu’observer et s’adapter.

Quant aux sanctions, présentées dès le début comme l’arme décisive qui ferait plier Moscou, leur inefficacité relative est désormais difficile à masquer. Elles ont certes affaibli certains secteurs clés, limité l’accès à des technologies et mis sous pression l’économie russe. Mais elles n’ont pas stoppé la guerre, ni provoqué l’effondrement espéré.

L’économie russe a été davantage résiliente que prévu, soutenue par la réorientation vers l’Asie, la montée du partenariat sino-russe et la capacité du Kremlin à s’adapter. Les sanctions, outil politique souvent utile, ne peuvent pas régler un conflit armé où les logiques territoriales, identitaires et stratégiques sont profondément enracinées.

Face à ce constat, l’Europe devrait entreprendre une introspection profonde : pourquoi, malgré ses richesses, son marché unique, sa population et son expérience diplomatique, reste-t-elle incapable d’être un acteur décisif ? Pourquoi dépend-elle toujours de Washington pour sa sécurité ? Pourquoi n’a-t-elle pas su élaborer une stratégie claire pour l’Ukraine, ni pour sa relation avec la Russie ?

Cette guerre ne fait que révéler ce que beaucoup savaient déjà : le vieux continent est devenu un espace géopolitique plus qu’un acteur géopolitique.
L’idée d’un plan Washington-Moscou, même hypothétique, doit être l’occasion pour l’Europe de réaliser que son affaiblissement ne vient pas seulement des autres, mais d’elle-même.

Elle doit cesser de croire qu’elle pourra peser uniquement par des sanctions, des déclarations morales ou une solidarité mécanique entre ses membres. L’Europe doit redevenir une puissance, capable de sécurité, de diplomatie autonome, de vision stratégique. Sans cela, elle restera spectatrice de son propre destin, dépassée par les puissances qui, elles, n’ont jamais cessé de jouer sur l’échiquier mondial.

J.H.

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