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Editorial : Les mauvais réflexes ont la peau dure…

Par Chokri Baccouche

Pour ceux qui l’ignorent, la locution «Le capitaine sombre avec son navire» est un concept lié à une vieille tradition maritime qui signifie littéralement que le capitaine est la dernière personne à quitter, en principe, le bateau vivant avant son naufrage ou sa destruction.

Et s’il ne peut évacuer ses passagers et son équipage, il doit lui-même rester à bord par devoir moral mais également pour assumer sa responsabilité juridique, sachant que, dans de nombreux pays, l’abandon d’un navire en détresse est considéré comme un délit et peut être puni d’emprisonnement.

Un capitaine qui se respecte donc doit donner le bon exemple et faire preuve d’une moralité exemplaire qui touche à l’honneur sacré au service des passagers dont la sécurité relève directement de sa responsabilité.

Ce comportement chevaleresque, qui repose sur un code de conduite fondé sur le courage, l’honnêteté et la loyauté, est devenu malheureusement, par ces temps marqués par la montée des égoïsmes, une monnaie extrêmement rare, particulièrement dans le domaine politique. La preuve vient de nous en être donnée il y a quelques jours dans l’hémicycle du Bardo où un député a formulé une requête qui a créé une polémique sur les réseaux sociaux.

Lors de la plénière de mardi dernier consacrée à l’examen du budget du ministère des Affaires étrangères dans le cadre du projet de loi de finances 2026, le parlementaire Fethi Maali a notamment demandé que le ministère des Affaires étrangères mette en place des mécanismes facilitant l’obtention des visas pour les députés tunisiens, en raison des contraintes qu’ils rencontrent.

Il a suggéré, à cet effet, l’instauration d’une procédure spécifique permettant aux élus de déposer leur demande directement, sans passer par le prestataire privé TLS Contact, actuellement chargé de la réception des demandes de visas pour plusieurs ambassades européennes. Pour mieux convaincre du bien-fondé de sa requête, l’élu a dénoncé la lenteur excessive et les procédures jugées dégradantes, rappelant que les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous peuvent dépasser un mois.

Selon lui, une telle situation est incompatible avec le rôle et le statut institutionnel des parlementaires, et nécessite l’intervention du ministère pour assurer un traitement plus adapté et respectueux de leur fonction. Bref, Fethi Maali réclame ni plus ni moins un traitement VIP pour les députés afin de leur permettre d’obtenir le précieux sésame dans des conditions moins stressantes, dignes de leur statut social.

Pour de nombreux demandeurs en Tunisie, l’obtention d’un visa Schengen relève d’un véritable parcours du combattant. Entre l’indisponibilité chronique des rendez-vous, les pannes fréquentes et parfois même « bizarres » du site et l’émergence d’un marché parallèle illégal, la procédure vire carrément au cauchemar. Les déceptions, les désillusions et les refus qui n’obéissent à aucun critère objectif sont le lot de l’écrasante majorité des demandeurs, diront les mauvaises langues.

Si bien qu’au final, aussi bien les étudiants, les patients, les médecins que les professionnels se retrouvent dans l’incapacité de planifier leur voyage ou de respecter leurs délais administratifs. Depuis quelque temps, on assiste même à l’émergence d’un nouveau phénomène: on rapporte ainsi que des agences de voyages, qui se disent en lien avec des intermédiaires informels, proposent des rendez-vous garantis moyennant des tarifs assez exorbitants.

En veux-tu ? En voilà, l’essentiel est d’allonger l’oseille partant du principe jamais démenti que l’argent ouvre toutes les portes, même les plus hermétiques. Aux « dysfonctionnements techniques » viennent s’ajouter donc des pratiques le moins qu’on puisse dire douteuses, tant et si bien que pour de nombreux Tunisiens, demander un visa est devenu une véritable humiliation.

Côté cours, on peut vraiment dire que les critiques formulées par Fethi Maali sont amplement justifiées et corroborées par des preuves formelles et indiscutables. Mais côté jardin en revanche, notre parlementaire a péché par trop d’égoïsme le moins qu’on puise dire déplacé et inacceptable, et ce, en formulant une demande qui transpire une mentalité féodale.

Plus exactement et selon le vocable d’un autre âge et une autre époque « à tout seigneur, tout honneur », ledit député exige un traitement spécial et un privilège pour les seuls parlementaires. Il a délibérément oublié au passage que sa mission première pour laquelle il a été élu est de défendre d’abord et en premier lieu les intérêts et la dignité de ses électeurs.

Un bon député, on le sait, est un parlementaire qui allie compétences professionnelles et qualités humaines. Il doit faire preuve de rigueur, d'écoute et d'éthique. Servir et non pas se servir : telle est en somme la qualité première qui distingue le bon du mauvais député. Servir le peuple s’entend et non pas profiter de son statut institutionnel pour servir des intérêts corporatistes ou strictement personnels.

Il est malheureux de constater que cette qualité fondamentale fait encore défaut chez la plupart de nos élus. Ce qui était valable durant la dernière décennie noire, l’est encore aujourd’hui. Comme quoi, les mauvais réflexes ont la peau dure. Dans l’intérêt du pays et des Tunisiens, un changement de mentalité est plus que nécessaire du côté du Bardo, partant du principe élémentaire que le bon exemple doit toujours venir d’en haut…

                                                            C.B.

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