Par Chokri BACCOUCHE
L’histoire s’est passée il y a quelques jours dans un collège de La Goulette. Un attroupement inhabituel s’est formé, en effet, devant l’établissement scolaire de cette ville balnéaire de la banlieue nord de la capitale où des jeunes élèves, apparemment très remontés, s’étaient ligués dans le cadre d’une expédition punitive qu’ils projetaient d’effectuer. Punir qui et pour quelle raison? S’agit-il d’un règlement de compte entre clans rivaux comme cela se passe dans bon nombre de nos bahuts? Pourquoi cette effervescence et cette colère diffuse, difficilement contenue qui sonne comme un appel à la guerre et suscite à la fois l’étonnement et la crainte de voir la situation échapper à tout contrôle, voire déboucher sur un incident grave ? Renseignement pris, ces jeunes élèves, tout excités et dont l’adrénaline a atteint des sommets, étaient sur le pied de guerre contre leur… enseignante de français. Ils s’étaient jurés de lui réserver un accueil en fanfare à sa sortie du collège pour lui infliger une sévère correction, rendue nécessaire à leurs yeux parce qu’elle leur a donné une mauvaise note lors de la dernière épreuve écrite.
Nos aïeuls disaient que les enseignants ont failli être prophètes. Cela est peut-être valable dans une époque révolue où l’éducateur jouissait de tous les égards et le respect dus à son rôle et sa mission sociale ô combien importante dans l’encadrement des futures générations. De nos jours, malheureusement, la situation a bien changé, dans le mauvais sens s’entend. L’enseignant, pour le triste cas d’espèce, est voué à être transformé en Makiwara, ce poteau de frappe rembourré qui permet aux adeptes des arts martiaux de durcir leurs poings et leurs pieds et d’améliorer leur technique de frappe. Parce qu’ils avaient reçu une mauvaise note à l’examen donc, la meute d’élèves en colère tenait à se venger de leur propre enseignante pour réparer ce crime de lèse-majesté et cet outrage impardonnable. Il y a vraiment de quoi tomber à la renverse et se poser mille et une questions sur la situation affligeante et réellement préoccupante qui prévaut dans la plupart de nos établissements éducatifs où les relations entre les enseignants et les apprenants sont devenues, le moins qu’on puisse dire, exécrables.
Il faut dire que cette situation, intenable et inacceptable, s’aggrave au fil des ans. On avait pensé que la violence et les comportements agressifs dans nos bahuts étaient des phénomènes passagers. On s’est lourdement trompé comme le démontre d’ailleurs la multiplication des incidents survenus ces dernières années dans bon nombre d’établissements scolaires qui rivalisent de gravité. On ne compte plus en effet les agressions verbales sur fond de propos oiseux et injurieux proférés par des élèves déchaînés contre leurs enseignants, le plus souvent pour des raisons futiles. L’appétit venant en mangeant, les agressions physiques et parfois même à l’arme blanche sont entrées petit à petit en scène. Pour un oui ou pour un « gnon », certains n’hésitent pas ainsi à passer à l’acte et sautent le rubicon, sans se soucier le moins du monde des conséquences fâcheuses de leur comportement répréhensible. Il faut reconnaître également que le comportement de certains enseignants en milieu scolaire n’est pas au-dessus de tout reproche non plus et participe à la détérioration des relations avec les élèves.
Pour la petite histoire, lors de l’incident en gestation devant le collège de La Goulette, des badauds formés de pères et de mères de famille qui passaient par hasard par-là avaient voulu s’interposer pour persuader le groupe d’élèves décidés à en découdre avec leur enseignante de revenir à de meilleures intentions. Mal leur a pris, car ils ont été pris illico pour cibles par leurs assaillants dirigés par… une élève, à coups de propos indécents et injurieux. L’individu Alpha, en jupon, de la meute n’a pas manqué, en guise d’échauffement, de déverser tout son fiel sur ces malheureux intermédiaires de bons offices pour leur intimer l’ordre de ne pas se mêler de l’affaire. On aura tout vu et entendu, décidément, dans cette triste histoire, sur fond d’une démonstration de force de ces élèves qui n’hésitent pas à s’en prendre à tout le monde, à savoir aussi bien les cadres enseignants que les pères et mères de famille. Il s’agit en fait d’une démonstration de «farces» de très mauvais goût qui en dit long d’ailleurs sur l’état des lieux déplorable de notre système éducatif, où tout est à reconstruire de la base au sommet de la pyramide. La réforme de ce système qui tombe en désuétude, pour ne pas dire qu’il part en vrille à tous les niveaux, est non seulement un impératif urgent mais également une nécessité de la plus haute importance. La Tunisie, qui a misé depuis l’aube de l’indépendance sur l’éducation, doit tout faire pour sauver ce secteur stratégique qui souffre de mille et un maux et n’est plus aujourd’hui que l’ombre de ce qu’il était naguère. Cette réforme salvatrice réclamée à cor et à cri depuis des années mais qui tarde malheureusement à venir doit nécessairement impliquer tout le monde, c’est-à-dire aussi bien les acteurs du secteur que les élèves et leurs parents. Il est grand temps d’agir en conséquence pour sauver les meubles du secteur avant qu’il ne soit trop tard…
C.B.