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Editorial : Les désillusions d’un rêve collectif…

Par Chokri Baccouche

A quoi rêvent l’écrasante majorité de nos jeunes ? A poursuivre leurs études universitaires jusqu’au bout afin d’obtenir un diplôme susceptible de leur ouvrir des perspectives prometteuses sur le marché de l’emploi ? Que nenni, il n’y a rien de tout cela et d’ailleurs beaucoup d’entre eux quittent l’école ou le collège prématurément et s’embarquent dans un long voyage vers l’inconnu et l’incertitude la plus absolue. Un peu pour des raisons économiques et beaucoup parce qu’ils ne croient plus tout simplement en la valeur des diplômes en tant que moyen idoine susceptible de leur permettre de monter sur l’échelle sociale. On l’aura certainement deviné, la plupart de nos jeunes rêvent de partir à l’étranger. L’enquête nationale sur la migration internationale confirme de manière éloquente ce constat. Sur les 750 jeunes tunisiens sondés dans le cadre de cette étude, 75% d‘entre eux ont exprimé leur désir ardent d’émigrer.

On peut à la limite concevoir que des jeunes sans perspective cherchent à partir à l’étranger dans l’espoir de trouver un travail décent, s’assurer un meilleur avenir et partant, se prémunir contre les aléas de la vie. Le problème, un sacré problème en fait, c’est que la plupart de ces candidats à l’émigration s’embarquent dans l’aventure sans disposer des moyens nécessaires leur permettant d’avoir un minimum de chance de réussir leur challenge. Sans diplôme et n’ayant aucune formation professionnelle ni une quelconque compétence linguistique, beaucoup l’ont d’ailleurs découvert à leur dépens, une fois arrivés en Europe. Le rêve se transforme ainsi en cauchemar et ces jeunes se retrouvent, du coup, livrés à eux-mêmes sans espoir de s’en sortir. Ils sont obligés de galérer, dormir sous un pont, sur un carton ou à la belle étoile et se débrouiller comme ils le peuvent pour trouver de quoi se mettre sous la dent et calmer la faim tenace qui les prend aux tripes. 

L’enquête nationale sur la migration internationale nous apprend un bout sur les causes profondes de cet échec. Elle révèle ainsi que sur les 211 mille migrants âgés de 15 ans et plus, de retour en Tunisie, les diplômés de la formation professionnelle représentent la plus faible proportion de refoulés avec seulement 4,7%. Ces chiffres donnent la preuve formelle qu’un diplôme ou une formation constituent une véritable clef de sésame susceptible de faciliter l’accès à l’emploi dans les pays d’accueil. A l’inverse, l’étude montre par ailleurs que les migrants ayant un niveau d’étude primaire représentent la plus forte proportion de «recalés» (36,8%), suivis par ceux ayant un niveau secondaire (25,4%), un niveau inférieur au primaire (17,1%) et, enfin, ceux ayant un niveau d’étude supérieur (16%).

De ce qui précède, on peut affirmer sans risque de se hasarder que l’émigration en Europe ou ailleurs sans diplôme ou une formation professionnelle et sans aucune compétence linguistique, revient à partir à la guerre sans armes. Aussi paradoxal et surprenant que cela puisse paraitre, au moment où de nombreux jeunes tunisiens caressent le rêve de partir à l’étranger, l’enquête évoque l’existence en Tunisie de «pénuries critiques» de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs tels que l’agriculture, le tourisme, les industries de transformation, le transport et la logistique. Une pénurie de main-d’œuvre dans un pays où le chômage atteint des sommets : avouons qu’il y a vraiment de quoi tomber à la renverse ! Cela veut dire que les chances de décrocher un emploi existent malgré mais encore faut-il disposer de la qualification nécessaire et surtout la volonté de travailler «at home», ce qui est malheureusement loin d’être le cas pour de nombreux jeunes qui préfèrent partir à l’étranger plutôt que de tenter leur chance en Tunisie. En tout état de cause, un travail d’encadrement est plus que nécessaire afin de sensibiliser ces jeunes quant à l’importance cruciale de disposer d’une qualification professionnelle qui constitue la seule voie passante leur permettant de décrocher un emploi aussi bien en Tunisie qu’à l’étranger. Ces candidats à l’émigration doivent se rendre à l’évidence que rien ne sert de partir à l’aventure s’ils vont se retrouver, au final, dans de beaux draps, c’est-à-dire dans une situation encore plus précaire qu’elle ne l’était avant leur départ. Comme quoi, émigration sans conscience n’est que ruine de l’être et amère désillusion. Et c’est le moins qu’on puisse dire…

C.B.

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