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Le non-Maghreb, cette malédiction politique - Par Soufiane Ben Farhat

La vérité saute même aux yeux des aveugles. Il est clairement établi qu’aucun des pays du Maghreb ne pourra s’en sortir à lui seul. Une évidence qui s’affirme encore plus au rythme de la mondialisation effrénée et de l’arrimage forcé des économies faibles au giron des économies occidentales à proprement parler carnassières en ces temps de crise.

En tout état de cause, si les cinq pays maghrébins vivent dans une espèce d’autarcie isolationniste les uns par rapport aux autres, le manque à gagner pour chacun d’entre eux est faramineux.

Tous les spécialistes en conviennent. Ils établissent cela autour de 2% de taux de croissance annuelle perdue pour chaque pays maghrébin pris à part et ce, quelles que soient ses performances économiques. Faisons le décompte, pondéré sur les trente ou quarante dernières années. Du premier coup d’œil, le bilan s’avère à proprement parler désastreux. La face de chaque pays maghrébin aurait été complètement nivelée à charge d’au moins 80%.

L’esprit de Marrakech

Deux constats s’imposent. En premier lieu, le Maghreb n’est point une donnée uniquement politique ou une fiction idéologique. C’est bien plutôt une réalité historique, anthropologique et objective, façonnée au fil des millénaires. Lorsqu’il regagné son pays au bout de 29 ans de voyage, le plus long périple des explorateurs au fil des âges, Ibn Battûta dit : “Le Maghreb est le plus beau pays du monde”. C’était au milieu du 14e siècle et Dieu sait qu’Ibn Battûta avait sillonné le monde en long et en large. En parlant du Maghreb, il parlait de la fameuse péninsule du Maghreb (Jaziret el maghreb) si chère aux Arabes.

La géographie, l’histoire, les accumulations et brassages ethniques et démographiques, la succession des États et des civilisations, la mer, les montagnes et le Sahara, tout avait concouru pour désigner le Maghreb en tant qu’entité autonome. Et reconnue comme telle, universellement. La politique y avait joué un rôle, certes, forcément au fil des âges. Mais, depuis 50 ans, la politique politicienne divise le Maghreb.

Le premier goulet d’étranglement c’est le conflit du Sahara occidental. Opposant deux États-clé du Maghreb, l'Algérie et le Maroc, il n’a fait qu’enrayer toute la dynamique intra-maghrébine en gestation. Cela me rappelle un fait qui m’a marqué. En 2002, j’avais interviewé l’illustre journaliste tunisien Taoufik Boughdir, disparu depuis. En parlant de ses débuts les années 30 du 20e siècle, il m’avait dit : “Savez-vous, le test que j’avais subi avant de rentrer à la radio au milieu des années 30 se rapportait à la question du Sahara occidental, aujourd’hui, après 65 an, elle subsiste toujours”.

Conflits et politiques isolationnistes

Un bref rappel des faits s’impose. L’UMA a été fondée le 17 février 1989, date du Traité constitutif de l’Union du Maghreb Arabe, signé par les Cinq Chefs d’Etats à Marrakech. Ce Sommet fut précédé de la réunion tenue par les Cinq chefs d’Etat Maghrébins à Zéralda en Algérie le 10 juin 1988. Elle s’était soldée par la mise en place d’une Grande commission, chargée de la réalisation d’une Union entre les Cinq Etats du Maghreb Arabe. Le Sommet de Marrakech a adopté une Déclaration solennelle relative à la création du l’UMA ainsi que le Programme de travail de l’Union. Par la suite, six Sommets ont été tenus, respectivement à Tunis les 21-23 janvier 1990, Alger les 21-23 juillet 1990, Ras Lanouf en Libye les 10-11 mars 1991, Casablanca les 15-16 septembre 1991, Nouakchoutt les 10-11 novembre 1992, et de nouveau Tunis les 2-3 avril 1994.

Débuts prometteurs, déclarations d’intention généreuses. Seulement, la politique politicienne a repris le dessus. Les vieux démons des Numides, faits d’incessantes querelles et de navrantes luttes de factions, reviennent de plus belle. Ce qui donne en partie raison à Stéphane Gsell qui avait écrit dans son Histoire ancienne de l’Afrique du Nord : “Cette vaste contrée était-elle donc destinée à n’avoir d’autre histoire que les annales monotones d’une foule de cantons, agités par des ambitions vulgaires et de mesquines querelles de voisinage ? Il est certain que les Berbères ont trop souvent dépensé leur énergie dans des luttes, sans grandeur et sans intérêt, d’individus, de familles, de coteries, de villages, de tribus. Ils ont presque toujours manqué des sentiments de large solidarité qui constituent les nations” !

Le pragmatisme des peuples

Il faudrait y ajouter les conflits internes, dont la Libye voisine est un exemple affligeant. L’appel de forces et puissances étrangères à la rescousse de l’interminable conflit avec l’ennemi intérieur et intime en rajoute au morcellement et à la paralysie suffocante. En Libye, Américains, Russes, Turcs, Émiratis, Qataris et foule d’autres intervenants extérieurs s’affrontent par factions, tribus et régions libyennes interposées.

De son côté, le conflit algéro-marocain autour du Sahara interpelle lui aussi des forces étrangères et des déchirements diplomatiques continentaux.

D’où, la conjonctions d’éléments extérieurs et intrinsèques aidant, ce statu quo fragmentaire qui n’en finit pas de peser sur tout le Maghreb comme une véritable malédiction.

Les peuples, eux, contournent les vicissitudes des politiciens. Dans les régions frontalières surtout, ils ont tôt fait de créer des zones franches de fait, où le commerce, les échanges et la contrebande sont légion. Leur pragmatisme tranche nettement avec l’immobilisme isolationniste des dirigeants. Parce que les peuples, à l’instar de l’humanité, se posent toujours des problèmes qu’ils peuvent résoudre ou à défaut contourner.

Aujourd’hui le Maghreb est en panne. Certes, çà et là, quelques tentatives timides ou franchement volontaristes voient le jour. Il leur manque toutefois deux impératifs garants de la pérennité. D’abord le souffle et la projection dans les dynamiques porteuses, surtout d’ordre économique. Ensuite la participation de tous les protagonistes, par-delà les clivages politiques, idéologiques ou tout simplement fractionnels.

Les dirigeants maghrébins devraient sans nul doute méditer un fait capital. Le premier noyau de l’Union européenne, avec ses 500 millions de peuples bigarrés et son lourd passé conflictuel à l’origine de deux guerres mondiales, a débuté en 1951 avec la Communauté européenne du charbon et de l’acier.

S.B.F

 

 

 

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