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Le grand retour géopolitique du Sud global

Par Soufiane Ben Farhat

 

Après la chute du mur de Berlin signifiant la fin de la Guerre froide, le politologue américain Francis Fukuyama avait publié, en 1992, un fameux livre intitulé “La Fin de l’histoire et le Dernier homme”. Un euphémisme en quelque sorte. En vérité, il voulait dire : la suprématie de l’Amérique et le triomphe de l’homme blanc nord-atlantique. Une illustration du credo fondamentaliste capitaliste et libéral en somme. Et beaucoup ont mordu à l’hameçon, y ont cru, et y croient encore comme des veaux.

Il est vrai que la chute du mur de Berlin et la disparition de l’URSS signaient la fin d’une guerre larvée à l’échelle d’un monde jusque-là bipolaire. La Guerre froide avait opposé, une quarantaine d’années durant, l’Occident et l’OTAN d’un côté, à l’Union soviétique et le Pacte de Varsovie de l’autre. Entre les deux, il y avait les pays dits du Tiers-monde réunis sous la bannière du Mouvement des Non-alignés et du Groupe des 77.

Comme l’a souligné Sharang Shidore, directeur du programme Global South au Quincy Institute for Responsible Statecraft et membre du corps professoral adjoint de l’Université George Washington : “Les pays du Sud abritent la grande majorité de l’humanité, mais leurs désirs et leurs objectifs ont longtemps été relégués aux oubliettes de la géopolitique. Dans la seconde moitié du XXe siècle, des groupes tels que le Mouvement des pays non alignés et le G-77 aux Nations Unies ont cherché à promouvoir les intérêts collectifs des pays les plus pauvres et décolonisés dans un monde dominé par d’anciennes puissances impériales. Leur solidarité reposait essentiellement sur des idéaux et un sentiment d’objectif moral partagé qui n’a pas toujours produit de résultats concrets. Même avant la fin de la guerre froide, le moralisme qui motivait ces États à s’unir commença à se dissiper. Les décennies unipolaires qui ont suivi la fin de la guerre froide semblent avoir définitivement écarté le Sud en tant que force évidente.”

 

Quand la Chine s’éveillera

En fait, depuis la chute du mur de Berlin, le monde a connu des décennies durant lesquelles il y avait un seul crabe dans le panier à crabes de la politique mondiale, les États-Unis d'Amérique.

A l’instar de tout pouvoir hégémonique à dimension planétaire, ils promurent et imposèrent un seul credo prétendument universaliste, la mondialisation. On jugea bon de promouvoir partout le capitalisme nord-atlantique comme norme suprême et indiscutable. Sur le plan politique et militaire, l’Otan sévit un peu partout, de la guerre d’Afghanistan au renversement du pouvoir en Libye, en passant par l’Irak et la Syrie. Côté économique, le FMI et la Banque mondiale administrèrent leurs recettes concoctées par les gourous monétaristes et financiers de haut vol.

Mais c’était compter sans la Chine. Lentement mais sûrement, l’ancien Empire du Milieu entreprit une remontée économique spectaculaire à l’échelle planétaire que traduit la Route de la soie, lancée en 2013 sous la présidence de Xi Jinping. C’est une route -une ceinture- réorientant l’économie mondiale au profit de la Chine moyennant des investissements colossaux consentis par ce pays dans des infrastructures routières et portuaires entre l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Elle englobe ladite Route maritime de la soie reliant l’océan Pacifique, l’océan Indien et l’océan Atlantique tout en incluant le Moyen-Orient. Trois piliers en constituent le ciment dans une quarantaine de pays : l’intensification des échanges commerciaux, l’accroissement soutenu des investissements étrangers et l’amélioration des conditions de vie dans les pays concernés.

Ce fut le signe du retour en force du Sud global que traduit aussitôt l’émergence d’un nouveau bloc planétaire, les BRICS. Composé initialement du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud, le groupe s’est élargi le 1er janvier 2024 à l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, l’Iran, l’Egypte et l'Ethiopie, sous la bannière des BRICS+. Ils s’engagent en faveur de l’intensification des investissements et des échanges entre eux ainsi que l’adoption d’une monnaie unique au détriment du dollar. Fait significatif, il faut savoir que les BRICS+ totalisent 46% de la population mondiale, contre moins de 10% pour les pays du G7 (Etats-Unis, Canada, Japon, Royaume Uni, Allemagne, France et Italie). 

En fait, contrairement au livre précité de Francis Fukuyama, qui fit long feu, c’est le livre publié par Alain Peyrefitte en 1973 qui s’avéra une véritable prophétie. Il est intitulé “Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera”.

 

Fin du code de l’Ouest, par l’Ouest et pour l’Ouest

L’ex-ministre de l'économie du Chili a publié le 23 janvier 2024 une tribune intitulée “Le Sud global peut agir comme constructeur d’un ordre international plus équilibré”. Il y écrit notamment : “Dans des délais très courts, le monde a connu des changements profonds. La pandémie de Covid-19 puis l’invasion de l’Ukraine par la Russie ont enterré l’idée un peu naïve d’une économie mondiale relativement homogène régie par une logique essentiellement économique. Nous nous retrouvons désormais dans un espace mondial fragmenté dans lequel la Chine et les Etats-Unis se livrent une âpre dispute pour l’hégémonie globale. Il en résulte une déglobalisation commerciale et productive (mais pas financière) dans laquelle la géopolitique prend le pas sur la raison purement économique. C’est dans ce cadre qu’émerge le Sud global.

L’Occident continue à exister tout en étant de plus en plus contesté. L’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre entre Israël et le Hamas ont mis en évidence que les règles établies par les puissances occidentales n’ont pas le caractère universel qu’on leur prête et qu’elles sont en revanche de plus en plus perçues «comme le code de l’Ouest, par l’Ouest et pour l’Ouest», suivant la formule du chercheur Bobo Lo dans une publication du Lowy Institute de novembre 2023.

L’idée que l’Occident était le grand défenseur du droit international et du droit humanitaire tenait lorsqu’il s’agissait de condamner l’invasion de l’Ukraine, mais vole en éclats lorsqu’il s’agit d’arrêter le génocide de Gaza commandité par Nétanyahou. Le double standard fait perdre toute autorité morale et politique aux puissances occidentales, à commencer par les Etats-Unis qui n’osent pas intervenir pour empêcher les crimes de guerre contre une population civile.”

Pour l’instant, le retour du Sud global pèse davantage sur le plan géopolitique qu’économique. Mais l’intendance suivra certainement.

S.B.F

 

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