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La chronique de Soufiane Ben Farhat:Tunisie- Les électeurs du coup de cœur au coup de gueule

La chronique de Soufiane Ben Farhat

Considérés sous un certain angle, les politiques ou pseudo-politiques tunisiens, cela dépend, ressemblent ici et maintenant à Méphistophélès. Dans le Faust de Goethe, il dit : “Moi je suis l’esprit qui toujours nie ; et c’est avec Justice : car tout ce qui existe est digne d’être détruit ; il serait donc mieux que rien n’existât.”
Logique démentielle dirait-on. Soit. Sauf que cette attitude traduit aujourd’hui, sous nos cieux, la réalité concrète plutôt que la fiction. Largement boudée par l’opinion, la classe politique tunisienne se contente de nier les faits plutôt que d’ausculter à la loupe les arcanes de son naufrage.
Témoins, les résultats des quatre tours des derniers scrutins législatifs. Grosse modo, et pour ne point se perdre dans les détails, les jeunes, les femmes et les électeurs des grandes agglomérations urbaines ont tourné le dos aux élections. Au second tour des élections locales dimanche dernier, le taux de participation n’a pas dépassé les 5% dans le Grand-Tunis alors qu’il a dépassé les 21% dans des régions plutôt rurales.
En matière de sociologie politique et électorale, il s’agit bien d’un phénomène. Une donnée de fond qui mérite l’analyse minutieuse plutôt que les envolées lyriques pamphlétaires accusatrices ou auto-justificatrices et victimaires des divers protagonistes.
Malheureusement, ce n’est guère le cas. Et pourtant, elle tourne.

L’anti-système a la côte
Je ne cesse d’y croire et de le réitérer, les Tunisiens aiment difficilement et haïssent aisément. Avoir une image de marque sous nos cieux n’est guère aisé. Et n’est surtout pas à la portée de tous. L’image de marque est même un siège éjectable. Les partis de la place en savent quelque chose même si la majorité d’entre eux se claquemure dans le déni.
En 2011, euphorie des primeurs et de l’agréable stupeur oblige, les Tunisiens ont adhéré à la classe politique surgie après la révolution. Une adhésion plutôt émotionnelle que rationnelle il est vrai. Du coup, l’adhésion aux nouveaux partis s’est renforcée au fil des jours. Ils ont bénéficié en quelque sorte du privilège d’antériorité.
Les taux de participation aux différents scrutins ont été relativement élevés. En gros, un noyau d’environ trois millions à trois millions et demi d’électeurs a presque toujours été au rendez-vous, à de rares exceptions près. Les élections législatives de 2019 et le référendum sur la nouvelle Constitution en 2022 ont mobilisé respectivement 2.946.628 et 2.830.094 électeurs.
Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts et la vapeur a été renversée. Du coup de cœur, les électeurs tunisiens expriment désormais le coup de gueule, notamment en ce qui a trait aux élections législatives. La couleur avait été annoncée lors de l’élection présidentielle de 2019. Au premier tour, parmi les 27 prétendants, deux candidats anti-système avaient émergé du lot, MM. Kais Saïed et Nabil Karoui. Le premier avait réalisé un raz-de-marée au second tour totalisant 2.777.931 voix, soit 72% du vote exprimé.

Déconfiture du législatif et des partis
Pourtant, M. Kais Saïed n’a guère de parti. Il s’est formé autour de lui une mouvement d’adhésions d’horizons divers et de sympathies convergentes. Là où les partis ont investi des milliards, il s’était contenté d’une campagne sobre et sans flonflons. Et les gens ont adhéré.
Aujourd’hui, pourtant, les électeurs boudent tout ce qui a trait aux élections législatives. Paradoxalement, dirait-on de premier abord.
A bien y voir, la bouderie n’est ni fortuite ni accidentelle. Aux yeux du citoyen lambda, l’image du député s’est lamentablement dégradée. Il sanctionne désormais le pouvoir législatif d’une certaine manière en lui tournant carrément le dos. C’est que, des années durant, il en a fait l’amer constat. Qu’il s’agisse de l'Assemblée constituante de 2011 ou des parlements élus en 2014 et 2019, ce fut le même topo. Des manœuvres politico-politiciennes, l’argent sale, les alliances contre-nature, le pillage des deniers publics et la mise à genoux de l’économie, les soudoiements des députés au grand jour, la corruption avérée au profit des privilégiés de l’économie de rente, la collusion avec des pouvoirs étrangers, les violences verbales et physiques y compris sanglantes dans l’hémicycle, le citoyen en en a vu de toutes les couleurs. Il en a gardé un profond ressentiment, exprimant le dégoût et le rejet. Bien pis, même le nouveau Parlement en pâtit.

L’élection présidentielle, un sursaut rageur ?
La dégradation de l’image du député dans l’opinion se recoupe d’ailleurs avec celle des partis et même des associations et des syndicats. Parce que les partis dominants ont instrumentalisé précisément les associations et les syndicats, devenus pour une bonne partie des courroies de transmission des agendas partito-partisans.
Et, fait révélateur, la corruption semble bien avoir officié comme le dénominateur commun des principaux partis de la place, droite, gauche et apparentés compris. Un cas typique de l’instrumentalisation d’une révolution a des fins crapuleuses.  Les récentes affaires sanctionnées tant par les rapports de la Cour des Comptes que par les tribunaux en sont de bien affligeants témoins.
Mais comme il ne saurait y avoir de vie politique sans partis, on ne saurait bâtir des institutions sur fond d’absence d’adhésion.
Pour l’instant, les principaux partis incriminés se calfeutrent dans le déni. Aucune initiative de bilan, de refondation des orientations, des méthodes et du staff. Tout au plus un timide changement de dénomination auprès de quelque parti et le confinement dans l’auto-justification cathodique auprès d’autres. Point de remise en cause sérieuse et majeure devant l’opinion.
Certains font valoir que l’élection présidentielle prévue à la fin de l’année réconciliera l’électeur avec les urnes, le Tunisien étant moins circonspect et blâmeur et plus avenant pour l’élection à la magistrature suprême.
Auquel cas, l’élection présidentielle pourrait officier comme sursaut rageur de la citoyenneté trahie par les politiques de la misère des jours. On ose l’espérer avec un optimisme raisonné. Sinon on pourrait tous entonner à regrets : adieu politique je t’aimais bien…


S.B.F


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