Le Théâtre de l’Opéra de Tunis a accueilli, mercredi soir, la première internationale de l’adaptation musicale iranienne de « King Lear », Le roi Lear, signée Elika Abdolrazzaghi et produite par le célèbre producteur, réalisateur et acteur Ali Oji.
Une création vibrante présentée hors compétition dans le cadre des Journées héâtrales de Carthage (JTC), où la tragédie shakespearienne se réinvente à travers une esthétique persane foisonnante, mêlant chant, danse et énergie rock.
Créée en mai dernier en Iran, cette version du chef-d’œuvre shakespearien, intègre des chorégraphies contemporaines, révélant une approche audacieuse d’un texte mythique qui n’a cessé d’inspirer les scènes du monde.
Cette lecture iranienne de King Lear déploie un dispositif scénique où le mouvement devient souffle et où chaque geste dessine une émotion. Le jeu d’acteur, profondément expressif, se mêle à des chorégraphies fluides qui orchestrent la tragédie comme une trame dansée, soutenue par des emprunts audacieux aux univers du trio anglais « Muse » ou du groupe allemand « Rammstein ».
Les costumes, éclatants de rouges, de verts et de jaunes, convoquent l’imaginaire persan ancestral. Leur éclat évoque les étoffes voyageuses de la Route de la soie, que le spectacle revisite avec une élégance contemporaine. Cette palette haute en couleurs contraste avec une scénographie inscrite dans la pénombre et des lumières ténues, parfois trop avares, qui plongent le récit dans un clair-obscur permanent.
Une esthétique de l’ombre
La scénographie d’Amir Hussain Dwani joue sur un espace dépouillé, illuminé par des faisceaux lumineux rappelant des coups de pinceau. L’obscurité, omniprésente, instaure un climat de tension qui épouse la folie progressive du roi Lear. Mais cette économie de lumière brouille parfois la lisibilité des tableaux, malgré l’intensité vocale, chorégraphique et musicale qui soutient la narration.
Les voix, notamment celle de Seyedeh Mohammad Reza Yazdani, se déploient comme un chant ancien ouvrant un passage vers la mélancolie persane. Le sur-titrage arabe, discret, accompagne le spectateur sans altérer la puissance du texte chanté.
Cette adaptation rappelle combien Shakespeare reste un terrain fertile pour les créateurs du monde entier. Chaque pays y inscrit son propre contexte, ses sensibilités, ses fractures. L’Iran, où le théâtre n’a pas bénéficié d’une tradition continue comparable à celle de l’Occident, inscrit ici sa voix avec assurance.
La force de cette version réside dans sa dimension humanisée : un Lear vulnérable, porté par une distribution généreuse où acteurs et danseurs forment une mosaïque vivante. Le spectacle réunit un large ensemble d’interprètes, -parmi eux Ahmad Saatchian dans le rôle du roi, Ali Jadidi, Ali Khayyam, Fereshte Attarisari, Amoor Zarkarian, Tooraj Saminipour, Shema Parvandi, Boorzhin Abdolrazzaghi, Seyedeh Narges Mohammadi, Nooshin Etemad, Soroush Kariminejad et Milad Rahimiabkenar -, épaulés par vingt danseurs qui amplifient la dramaturgie par leurs mouvements.
Dans une salle comble, malgré une heure de retard liée à un incident technique, le public a répondu massivement présent. Quelques conversations effilées dans l’obscurité ont néanmoins tranché avec la gravité du drame, signe discret d’une culture théâtrale encore inégale.
La littérature iranienne, riche de 2 500 ans de poésie, irrigue cette réinvention. Elle donne au Lear persan une musicalité et une sensibilité propres, tout en demeurant fidèle à la puissance universelle du texte. Cette première internationale marque ainsi un moment singulier : une rencontre entre héritages, où la scène iranienne affirme sa place dans la cartographie théâtrale contemporaine.
TAP

