Par Imen Abderrahmani
C’est une page importante de l’histoire cinématographique tunisienne et de la mémoire audiovisuelle qui se tourne : la salle « Ciné Jamil », situé à El Menzah 6, a annoncé la fermeture définitive de ses portes, une annonce poignante faite le 27 octobre 2025.
Le cinéma tunisien éclaire la scène internationale, récoltant succès et reconnaissance, tandis que ses salles se désertent. Entre l’effervescence des files d'attente lors des Journées Cinématographiques de Carthage et les sièges vides tout au long de l’année, à l’exception de quelques événements isolés, le tableau devient préoccupant.
L’annonce de la fermeture de la salle « Ciné-Jamil », dernière salle de cinéma du gouvernorat de l’Ariana, marque la fin d’une époque pour les cinéphiles et les passionnés de culture en Tunisie. Triste nouvelle pour cette salle qui a réussi depuis son ouverture à être un espace de débat, d’échange, de découverte et de partage de la cinéphilie.
Dans un message publié par la direction de la salle, sur les réseaux sociaux, les mots étaient simples mais chargés de sens, de douleur…
« Ciné Jamil El Menzah 6 ferme ses portes… définitivement. Une page se tourne, chargée d’émotions et de souvenirs. Des films, des rires, des débats, des rencontres, et surtout, des moments inoubliables partagés avec vous. Merci à notre public fidèle, à nos amis du cinéma et de la culture. Ciné Jamil n’est plus, mais son esprit continuera à briller dans le cœur de ceux qui l’ont aimé ». Avec la fermeture de cette salle, la Tunisie perd encore une partie de sa mémoire et l’un de ses lieux culturels de résistance.
La fermeture définitive, bien que difficile à accepter, s’explique par les difficultés financières auxquelles la salle a été confrontée depuis la crise sanitaire du Covid-19. Bien que « Ciné Jamil » ait rouvert ses portes en 2023 après une fermeture temporaire, les conditions économiques actuelles ont rendu son maintien insoutenable. Cette décision marque ainsi la fin d’une aventure qui avait pourtant su se réinventer dans des moments difficiles. Il est ainsi à noter que la direction de la salle après la réouverture a multiplié les projections de nouveaux films, proposant au grand public un éventail choix alliant films tunisiens et étrangers. Après des mois de galère, l’équipe de la salle a jeté l’éponge et a décidé de fermer les portes.
Inquiétante situation
La dégradation des salles de cinéma en Tunisie est aujourd’hui un défi majeur pour le cinéma tunisien. Malgré des initiatives encourageantes de certains jeunes pour rouvrir des salles fermées, depuis de longues années, comme l’initiative de Ghassen Kacem à Jammel avec la réouverture de la salle Founoun, ou celle de Younès Ben Hajria à Moknine, la situation générale des salles de cinéma en Tunisie reste préoccupante. Ces efforts, bien que louables, n’ont pas permis d’inverser la tendance : le nombre de salles de cinéma continue de se dégrader.
La Tunisie ne compte actuellement que 34 salles de cinéma, concentrées dans seulement 7 gouvernorats. Un chiffre bien faible, surtout comparé aux 17 gouvernorats qui n’en possèdent aucune. Parmi les gouvernorats ayant une offre de salles, Tunis arrive en tête avec 11 salles, toujours selon les chiffres du dernier rapport de l’Institut National des Statistiques (2016-2022). L’écart géographique entre la capitale et les autres régions révèle les défis majeurs auxquels le secteur est confronté pour démocratiser l’accès au cinéma à travers tout le pays. En 1970, la Tunisie comptait encore 114 salles de cinéma, un chiffre qui est passé à seulement 34 en 2022.
Ce déclin est dû à divers facteurs, dont la prolifération des plateformes de streaming et le manque d’affluence vers les salles traditionnelles.
Que faut-il faire pour maintenir la flamme de la cinéphilie vivace ? N’est-il pas temps pour réfléchir à une stratégie nationale offrant aux jeunes dans les régions les possibilités de rouvrir les salles fermées et de les ré-exploiter ? N’est-il pas temps pour trouver et réinventer des mécanismes permettant de créer de nouveaux noyaux de cinéphiles, dans les quartiers, les écoles, les universités…et même dans les différents lieux de travail ? Où sont ces syndicats et ces associations ? Où est le Centre National du Cinéma et de l’Image (CNCI) de tout ce qui se passe ? La fermeture du Ciné Jamil n’est qu’une nouvelle sonnette d’alarme qui retentit pour une opération de sauvetage des salles, de ce qui reste de la mémoire cinématographie tunisienne.
Imen.A.

