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Claudia Cardinale, fille de Tunis et reine du grand écran, nous quitte

 

Par Imen Abderrahmani

 

Si son cœur s’est arrêté loin de La Goulette, son nom, son sourire, et son esprit restent à jamais inscrits dans la mémoire affective des Tunisiens et surtout des Goulettois. Adieu Claudia Cardinale, cette âme du cinéma mondial forgé sous le soleil de Tunis.

 

Claudia Cardinale s’est éteinte, hier, en région parisienne, à l’âge de 87 ans après une vie marquée par la passion, la liberté et l’engagement. Icône intemporelle du cinéma européen, muse de Visconti, Fellini ou Leone, elle a été bien plus qu’une actrice : une femme forte, moderne et résolument libre.

Mais avant de conquérir les écrans du monde entier, Claudia Cardinale est d’abord une fille de Tunis. Née le 15 avril 1938 à La Goulette, dans un quartier populaire et cosmopolite de la capitale tunisienne, elle a grandi dans un univers où se croisent les langues, les cultures et les traditions. Cet enracinement en Tunisie, qu’elle n’a jamais renié, a forgé son caractère et nourri son identité d’artiste.

Issue d’une famille d’origine sicilienne installée de longue date en Tunisie, Claudia a parlé le français, le dialecte tunisien et le sicilien avant même d’apprendre l’italien, qu’elle ne maîtrise qu’à son arrivée dans le monde du cinéma.

Pour Claudia, la Tunisie n’est jamais pour elle un simple souvenir d’enfance : elle y a puisé sa force, sa liberté et une identité méditerranéenne plurielle qu’elle revendiquera tout au long de sa vie. Profondément attachée à son pays natal, elle n’a cessé d’en évoquer avec émotion les paysages, les odeurs, les bruits et les couleurs, et elle n’a jamais manqué une invitation pour visiter la Tunisie.

En 2022, Claudia Cardinale est revenue à La Goulette, à son quartier natal, pour y inaugurer une rue à son nom. Reçue comme une héroïne, elle déclare alors émue : « Je suis très honorée car c’est ici où je suis née et où j'ai passé mon enfance (…) C’est un passé important: la Tunisie de mes parents, de mes grands-parents, a été une Tunisie extraordinaire. Une terre de partage, de joie, d’échange. J’ai grandi dans une importe et grande mixité culturelle ». Ces mots résonnent aujourd’hui comme un testament affectif d’une femme qui n’a jamais oublié d’où elle venait.

Elle, qui à 16 ans, a été élue « la plus belle italienne de Tunis », lors d’un concours de beauté.

 Et c’est grâce ce titre dont la récompense a été un séjour au Festival du film de Venise que le cours de sa vie a bel et bien changé. Sa beauté solaire séduit immédiatement le monde du cinéma. Pourtant, à l’époque, elle se destine à une carrière d’institutrice.

C’est le réalisateur Mario Monicelli qui l’a convaincu de tenter l’aventure du grand écran. Elle tourne son premier film, « Pigeon » (1958), à Rome, aux côtés de Vittorio Gassman. Très vite, Claudia devient une figure montante du cinéma italien, adoptant son prénom de scène - Claudia -et s’inscrivant au prestigieux Centre expérimental du cinéma de Rome.

Carrière internationale et amour pour la Tunisie

Claudia Cardinale enchaîne les rôles marquants sous la direction des plus grands : Visconti, Fellini, Leone, Blake Edwards, Zurlini… Elle incarne à l’écran une femme méditerranéenne forte, libre et sensuelle, aux antipodes des clichés de l’époque.

Parmi ses rôles emblématiques figurent « Le Guépard » (1963) avec Alain Delon et Burt Lancaster, « Huit et demi » (1963) de Fellini, ou encore « Il était une fois dans l’Ouest » (1968) de Sergio Leone. Elle partage l’affiche avec les plus grands noms du 20ème siècle : Jean-Paul Belmondo, Marcello Mastroianni, Henry Fonda, et bien d’autres.

Mais malgré son succès international, Claudia n’a jamais tourné le dos à ses origines tunisiennes. Elle participe à plusieurs projets cinématographiques tournés en Tunisie ou liés à son histoire : « Les anneaux d’or » de René Vautier (1956), tourné en Tunisie et inspiré d’une histoire tunisienne, « Goha » de Jacques Baratier (1959) dont le tournage a eu lieu à Kairouan, Hammamet, Tunis, et Djerba, pour une durée de 15 semaines à partir de mars 1957, « Un été à la Goulette » de Férid Boughedir (1996), « Le fil » de Mehdi Ben Attia (2009), et « L’île du pardon » de Ridha Béhi (2022). Et c’était sa dernière apparition dans une production cinématographique tunisienne.

Il est à rappeler qu’en 2009, Claudia Cardinale a publié un livre autobiographique intitulé « Ma Tunisie » où elle s’est allée sur les traces de son enfance. « A dix-sept ans, je suis partie pour Venise. Dans ma valise, j'avais emporté un bikini et un burnous, ce grand manteau typique de mon pays. Le premier m’a rendue célèbre. Sous le second, j’avais caché la Tunisie. Bienvenue dans ma Tunisie. », a-t-elle écrit.

Femme libre et engagée

En dehors des plateaux, Claudia Cardinale mène un combat pour la liberté et la dignité des femmes. En 2000, elle devient ambassadrice de bonne volonté à l’UNESCO, où elle se consacre notamment à la défense des droits des femmes dans le monde arabe — un engagement en écho à ses racines tunisiennes.

Discrète sur sa vie privée, elle s’est néanmoins illustrée par son courage, brisant les tabous sur des sujets sensibles, notamment la violence faite aux femmes.

Tout au long de sa carrière, Rome, Paris et Hollywood, Claudia n’a jamais renié ses origines tunisiennes. Elle disait souvent que c’est en Tunisie qu’elle avait appris à vivre, à observer, à ressentir. Cette richesse intérieure a nourri son jeu d’actrice, fait de sensibilité et de profondeur.

Avec plus de 130 films à son actif, une carrière au théâtre et de nombreuses distinctions — dont un Lion d’or pour l’ensemble de sa carrière à la Mostra de Venise en 1993 — Claudia Cardinale laisse un héritage immense. Son départ marque la fin d’une époque — celle d’un cinéma lumineux, profond, enraciné dans les émotions et la vérité.

Plus qu’un lien de naissance, un lieu de naissance, la Tunisie a été pour Claudia Cardinale une terre d’ancrage, de mémoire et d’âme. Elle n’a jamais cessé de porter en elle ce pays aux mille couleurs, avec tendresse, fidélité et fierté. Les Tunisiens, de leur côté, ne l’ont jamais oubliée. Ils voyaient en elle l’une des leurs, une ambassadrice lumineuse de leur culture, de leur hospitalité, de leur ouverture au monde.

Entre Claudia et la Tunisie, il y avait plus qu’un attachement : il y avait une histoire d’amour réciproque, tissée de respect, de gratitude et de souvenirs communs.

Imen ABDERRAHMANI

 

 

 

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