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Fadhel Jaziri : Retour sur une carrière hors-pair

L’annonce, tôt dans la matinée de ce lundi 11 août 2025, du décès de l’artiste, comédien, metteur en scène, producteur de théâtre, de spectacles musicaux et d'œuvres cinématographiques Fadhel Jaziri, a immédiatement mobilisé l’attention notamment sur les réseaux sociaux, où de nombreuses publications et témoignages ont inondé la toile, traduisant une profonde douleur face à la perte de ce monument du théâtre, du cinéma, de la musique et de l'art en Tunisie. Sa dernière création théâtre-danse, « Au violon », donnée hier soir, la veille de son décès, vient de marquer ainsi le dernier acte d’un parcours artistique exceptionnel de plus de cinquante ans.

Avec des expressions telles que « Fadhel Jaziri baisse le rideau, le spectacle continue », « Une légende s’éteint », « L’adieu à un maître de la scène » ou encore « La culture tunisienne perd un grand artiste », artistes, intellectuels, journalistes, acteurs culturels, ministère de tutelle, institutions culturelles et artistiques… endeuillés et sous le choc de la nouvelle, ont partagé publications, photos et souvenirs pour rendre hommage à la mémoire d’un homme dont l’oeuvre a profondément marqué plusieurs générations.

Le défunt a marqué une étape majeure dans l’histoire du théâtre et du cinéma en Tunisie, après une carrière de plus de cinquante ans d’innovation et de créativité.

Fadhel Jaziri laisse derrière lui une œuvre riche et variée qui a profondément marqué la culture tunisienne. Artiste engagé, intellectuel et visionnaire, il a su, à travers ses pièces, ses films et ses spectacles, aborder avec justesse et force les grandes questions de la société.

Né en 1948 à Tunis, il a grandi dans un milieu imprégné de culture aux côtés de son père, vendeur de livres reconnu à Bab Souika, et directeur du café Ramsis ainsi que de l’auberge Zitouna, lieux de rencontre d’écrivains, d’artistes et de comédiens qui ont profondément façonné sa personnalité dès son plus jeune âge, lui qui fut l'élève du peintre Zoubeir Turki.

Au fil de ses études au collège Sadiki, à la fin des années soixante, il rejoint la troupe dramatique scolaire aux côtés de figures majeures qui allaient devenir des icônes de la culture tunisienne, notamment Abderraouf El Basti et Raouf Ben Amor.

Engagé et activement impliqué dans le milieu estudiantin, il participe aux manifestations de 1968 et aux grèves de la faculté des lettres avant de partir à Londres et Paris pour poursuivre ses études.

La grande passion pour le théâtre

A son retour, il crée, au sein de l’Association de sauvegarde de la médina de Tunis, le premier Festival de la Médina en 1971. En 1972, il fonde avec un groupe de jeunes créateurs « Le Théâtre du Sud de Gafsa », contribuant ainsi au mouvement de décentralisation de la culture et des arts impulsé dans la jeune Tunisie indépendante. De 1972 à 1974, avec les pièces « J’Ha », « L’Orient en désarroi », « La geste » de Mohamed-Ali El-Hammi et « La geste hilalienne », le Théâtre de Gafsa suscite l’enthousiasme et l’adhésion du public dans tout le pays.

« El-Karrita », produite par Masrah Ennas (Fadhel Jaziri, Fadhel Jaibi et Habib Masrouki) en 1975, tiendra la scène en Tunisie et à l’étranger pendant plusieurs années.

En 1976, Fadhel Jaziri cofonde avec Mohamed Driss, Fadhel Jaibi et Habib Masrouki le Nouveau Théâtre, une compagnie privée. Les pièces « Al Ors » (La Noce) et « El Wartha » (L’Héritage) en 1976, « Attahqiq » (L’Instruction) en 1977, et Ghassalet Ennawader (Orage d’Automne) en 1980 font école et constituent depuis un répertoire de référence. Fadhel Jaziri y participe comme co-auteur et tient, en tant que comédien, les rôles principaux dans la plupart des pièces, aux côtés de Jalila Baccar, Mohamed Driss, Taoufik Jebali et Raja Ben Ammar.

Tout en s’orientant progressivement vers le cinéma et les spectacles musicaux, Fadhel Jaziri poursuit la production de pièces de théâtre: « Lem » en 1983 et « Arab » en 1987. Entre les deux, le projet cinématographique « Kahla Hamra » restera, après deux années d’efforts, à l’état de projet. Suivront la reprise de « Attahqiq », « Saba »  (1997) -qui se heurtera à la censure et ne rencontrera jamais le public-, puis « Saheb el himar » (2011) d’après Ezzedine El Madani, présentée aux Journées théâtrales de Carthage (2012).

Avec « El Awada » (La répétition) , qui ouvre le Festival international de Hammamet en 1989 et obtient le Prix de la mise en scène aux Journées théâtrales de Carthage 1990, Fadhel Jaziri inaugure une nouvelle étape : celle du spectacle musical, sans jamais abandonner le théâtre ni le cinéma.

La griffe musicale

En 1991, en tant que producteur et metteur en scène de « Nouba », il revalorise toute une tradition musicale populaire jusque-là marginalisée par les canaux officiels. Présenté en ouverture du Festival international de Carthage, ce spectacle est donné au Zénith à Paris en 1992, diffusé la même année sur Antenne 2 puis rediffusé sur TV5 Monde.

En 1993, il crée « Hadhra », un spectacle de chants inspirés de la tradition soufie tunisienne. Présenté pour la première fois au Palais des Sports d’El Menzah en ouverture du Festival de la Médina, il est joué en France en 1995 au Théâtre Gérard-Philipe à Saint-Denis et au festival Marseille Méditerranée, puis au Festival de Rabat en 1999. La bande originale est éditée en CD (Philips/Universal) en 2000, et le film de 90 minutes sort en 2001.

Parallèlement, ses créations se multiplient : « Nujum » (1994), fresque musicale sur le renouvellement du répertoire arabe du XXᵉ siècle, « Zghonda et Azzouz » (1995), inspiré du café chantant tunisien des années 1960, « Bani Bani »  (1995) qui clôture la Saison tunisienne en France et ouvre le Festival de Hammamet, « Mezoued » (2003), « Zaza » (2005), « Arboun » (2018), « Hob Zamen el harb » et « Caligula » (2018).

Fadhel et la caméra

Fadhel Jaziri a abordé la caméra avec « Al Ors » (La Noce 1976), puis adapte « Ghassalet Ennawader » pour la télévision. En 1981, il est coauteur et interprète du long métrage « Traversée » de Mahmoud Ben Mahmoud. En 1984, il cofonde la société Nouveau Film avec Jalila Baccar et Fadhel Jaibi, qui produit « Arab », projeté en ouverture des JCC 1988 et couronné du Tanit de Bronze, avant d’être sélectionné au Festival de Cannes 1989 (Semaine Internationale de la Critique / Section Caméra d’Or).

Il tourne « Thalathoun » (2007), son premier long métrage en tant que réalisateur, puis « Khoussouf » (Eclipse 2014), qui obtient le Prix du meilleur scénario au Festival du Cinéma Méditerranéen d’Alexandrie (2016), et « El Guirra » (2016), sélectionné aux JCC 2019.

Fervent défenseur des expressions culturelles dans toute leur diversité, il a fondé son projet de rêve, le Centre des Arts de Djerba, inauguré le 10 novembre 2022, dans l’esprit de contribuer à la décentralisation de l'offre artistique et culturelle.

Fadhel Jaziri, qui vient de tirer sa révérence au lendemain de la présentation de sa dernière création « Jranti el aziza » (Au Violon) dans le cadre de la 59ème édition du Festival international de Hammamet (FIH 2025), s’en est allé, d’une certaine manière, sur scène, avec une dernière œuvre, témoin d'une passion portée jusqu’au bout, pour l'art, celle d'une icône qui vient de faire son ultime adieu.

 

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