Par Imen Abderrahmani
Que s’est-il passé vraiment lors de l’ouverture du Festival international de Carthage ? Pourquoi le public est-il déçu ? Et que reste-t-il de ce spectacle dont quelques extraits ont enflammé la toile ?
« Men kaa el khabia » (qu’on peut traduire avec « Du fond de la jarre ») ainsi s’intitule ce spectacle d’ouverture assuré par le maestro Mohamed Garfi. Qui selon les notes de présentation, a cherché à dépoussiérer la mémoire musicale du 20ème siècle et de mettre en lumière de nombreux artistes dont les chansons ont façonné et ont marqué la mémoire collective. Pour relever le défi, le maestro a fait appel à une pléiade de belles voix tunisiennes, à l’Orchestre Symphonique Tunisien et à la Troupe nationale des arts populaires.
Mais sur scène et lors du spectacle, c’était une autre réalité et les bonnes intentions de Garfi et son équipe n’ont pas trouvé de bons échos auprès d’un public qui est venu pour un voyage musical, censé plus rythmé et plus festif. Et c’était le premier choc pour le public qui s’est retrouvé dans une ambiance autre que souhaitée et imaginée, obligé à écouter ces belles chansons du bon vieux temps telles que « Wadouni », « Ordhouni zouz Sbaya », « Yalli Boodak dhayaa fekri », « Elli taada w fett », « Zaama ysafi eddahr » et d’autres avec une nouvelle orchestration qui les a vidé de leur âme, de leur charge émotionnelle, de leurs sonorités qui sont bien gravées dans les mémoires des Tunisiens… Entre les attentes et les faits concrets, il y avait une grande différence.
Devant des gradins presque vides du public, cette première soirée s’est déroulée. Il faut dire que miser sur la musique savante pour la soirée inaugurale a été un choix à risque. Car le public du Festival international de Carthage n’est ni le public du Festival international de musique symphonique d’El Jem ni encore le public du Théâtre de l’Opéra. C’est un public différent qui voulait se divertir, c’est un public qui pensait que consacrer une soirée à la musique du 20ème siècle lui permettra de revivre certaines ambiances et de lever la voix pour interpréter du Jouini, du Tarnane, pour se glisser dans la peau de Saliha ou encore de Jamoussi.
La mémoire dépoussiérée
Le coup d’envoi de la soirée a été avec « Le Salut Beylical », l’ancien hymne national de 1846 à 1957, chanté à la gloire du Bey, dont la composition, selon Othman Kaak est attribuée au célèbre compositeur italien Guiseppe Verdi (Une information contestée par Salah Mehdi) et qui a été d’abord sans paroles, que de la musique, avant qu’on lui ajoute quelques vers vantant les qualités du Bey. Un premier clin d’œil à la mémoire, à un symbole de la nation : son hymne national.
Le 2ème clin d’œil a été aux orchestres de cuivres, ou tout simplement aux fanfares, qui auparavant (et aujourd’hui dans quelques régions) sont le cœur battant de chaque fête de circoncision. Et Mohamed Garfi a tenté de recréer ces ambiances. Mais, la surprise ne semble pas plaire à tout le monde.
Au total : 25 chansons et œuvres instrumentales ont bien rythmé de ce spectacle qui malgré sa richesse musicale et malgré ses importants hommages à ces artistes qui ont marqué de leurs empreintes le 20ème siècle et éclairages sur la mémoire artistique de l’époque qui souffre aujourd’hui de la marginalisation n’a pas su attirer l’attention du public.
Vision scénique absente
Les chanteurs Hamza Fadhlaoui, Chokri Omar Hannachi, Mehrezia Touil et Chedli Hajji, invité d’honneur, qui ont succédé sur scène n’ont pas su seuls malgré leurs performances vocales secouer le public, le sauver de cet ennui qui a plané sur le théâtre, alourdissant les ambiances.
L’acteur chevronné Jamel Madani a été de la fête, interprétant un cocktail de chansons humoristiques tunisiennes, mettant l’accent sur l’héritage musical de Salah Khémissi, monologuiste et l’un des pionniers de la chanson humoristique qui a laissé un répertoire de 300 chansons.
L’idée du spectacle « Men kaa el khabia » et également le contenu sont intéressants mais ce qui manquait à ce spectacle primo une vision scénique permettant de mieux agencer et présenter les différents éléments et secundo de l’âme, l’âme tunisienne… Ainsi nombreuses questions se posent : Quels sont les critères de sélection du spectacle d’ouverture ? Faut-il en créant penser au public et à ses attentes ? Les spectacles d’ouverture sont des « créations à la carte », sur commande, ou se sont des projets élaborés, une fois, la proposition retenue ? Est-il toujours « nécessaire », pour suivre la vague et la tendance, de tout orchestrer, de tout relire ? Ces nouvelles orchestrations ne risquent pas de faire perdre ces chansons devenues une composante du patrimoine, leur essence et leur ambiance d’époque ? A méditer !
I.A.