Par Chokri Baccouche
Entre les Tunisiens et la dive bouteille, il y a une longue histoire d’amour qui s’est tissée au fil des générations et que confirment les chiffres. En effet et selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la santé, la Tunisie est le pays qui consomme le plus d’alcool parmi les Etats arabes et se classe à la 56è place à l’échelle mondiale avec une moyenne de 12.92 litres par an et par personne. Il faut dire que la consommation d’alcool chez nous remonte à la nuit des temps. Nos ancêtres se sifflaient régulièrement des canons et entretenaient une tradition que confirme d’ailleurs le riche patrimoine viticole national. Bref, Bacchus a non seulement droit de cité dans nos murs, mais il fait l’objet d’un véritable culte que l’usure du temps n’a pas du tout réussi à altérer. Bien au contraire, la consommation de vin et de bière augmente et s’inscrit régulièrement sur une trajectoire ascendante, et ce, malgré les prix sans cesse révisés à la hausse. Les taxes de plus en plus prohibitives imposées par les différentes lois de finances ces dernières années n’ont pas réussi pour autant à casser cette dynamique, encore moins à freiner l’ardeur des Tunisiens de lever le coude pour vider une douzaine de bouteilles vertes ou se rincer la dalle avec trois ou quatre litres de nectar rouge ou blanc dans le cadre d’une soirée bien arrosée avec des potes.
Les goûts et les couleurs ne se discutant pas, tout comme d’ailleurs l’hygiène de vie qui relève quoi qu’on le dise ou le pense de la liberté individuelle, la consommation abusive de l’alcool nuit bien évidemment à la santé physique et budgétaire. Quand on se saoule régulièrement et immodérément la gueule, on perd forcément son nord et c’est le foie notamment qui accuse le coup. Les grands buveurs sont menacés ainsi par la cirrhose, cette maladie grave qui se caractérise par une altération irréversible de la structure du foie qui représente en Tunisie une des causes majeures de morbidité et de mortalité. Une consommation effrénée d’alcool porte gravement préjudice également et bien évidemment à l’équilibre budgétaire des ménages et génère souvent des tensions familiales. L’argent, devant être consacré pour subvenir aux besoins de la famille, est détourné ainsi de sa vocation initiale et termine sa course dans les tiroirs caisses des bars et des bistrots. A la longue, le ras-le-bol de Madame s’installe et bonjour les engueulades et les scènes de ménage qui rendent la vie au sein des couples un véritable enfer.
L’alcool fait beaucoup de dégâts ailleurs et plus précisément sur la route. Selon l’Observatoire de la sécurité routière, entre 15 et 20% des conducteurs contrôlés lors des campagnes sécuritaires anti-alcoolémie menées cet été 2025 ont été détectés positifs à l’alcool. Ce chiffre parle de lui-même et confirme en fait ce que l’on savait déjà, à savoir que la consommation des boissons alcoolisées est monnaie courante en Tunisie. Une tradition bien ancrée qui est à l’origine malheureusement d’un nombre croissant d’accidents de la circulation mortels. Les amateurs de la dive bouteille éprouvent un malin plaisir à transgresser la loi en vigueur qui fixe la limite d’alcoolémie à 0,3 g/l pour les conducteurs ordinaires et à zéro pour les professionnels et stagiaires. Lors de l’alcooltest, certains d’entre eux ont dix fois plus d’alcool dans le sang que la norme tolérée. Résultat des courses, ils voient le monde à l’envers dans le sens propre du terme et au moindre obstacle, ils sont bons pour un tonneau quand ils ne sont pas la cause principale d’un gigantesque carambolage.
Bière qui coule à flots amasse mousse, dit-on, mais également une montagne de problèmes qui coûtent cher aussi bien aux individus qu’à la collectivité nationale. Pas plus tard que lundi denier, le ministre de l’Intérieur a dévoilé les grandes lignes du « Plan national intégré de sécurité routière » visant à réduire de 50% le nombre des accidents de la route d’ici 2034. Ce plan ambitionne l’intensification des campagnes sur le terrain, notamment aux heures de pointe et dans les zones à risque ainsi que l’extension du système radar. Le bien-fondé de ce projet n’est pas à discuter bien sûr, mais on serait bien inspiré de commencer d’ores et déjà par des choses simples qui pourraient donner des résultats tangibles en un laps de temps très court. Comme celle d’empêcher par exemple qu’un tronçon de la route-express reliant Tunis à La Goulette ne soit transformé, comme c’est le cas actuellement, en un parking pour véhicules en tout genre dont les proprios ont pris l’habitude de s’installer sur la rive du bras de mer situé en face du port de Radés la plupart du temps pour vider quelques bouteilles.
Le site qui offre un cadre assez agréable attire les amateurs de la dive bouteille comme des mouches et le nombre croissant des voitures stationnées sur le bas côté gène énormément la circulation. Pis encore, on déplore des accidents mortels survenus sur ce tronçon comme c’était le cas l’autre jour où un individu éméché a été fauché de plein fouet par une voiture roulant à tombeau ouvert en traversant la chaussée. Certes, au plus grand bar à ciel ouvert de la Tunisie voguent les bateaux, le paysage est beau et la bière coule à flots mais la médaille a un sinistre revers qui se mesure à l’aune de drames de la route qu’on aurait pu éviter en veillant tout simplement à l’application de la loi...
C.B.